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projets conviendrait mieux que la Colbrand ! Le volcan de son âme a jeté ses premières laves : ce qu’il lui faut aujourd’hui, ce n’est plus un de ces parpaillots qui vont et viennent, mais un galant homme qui lui donne un rang dans le monde, un nom illustre dans les arts. La femme est un frêle roseau qui ne saurait se passer d’appui. Je serai ce soutien pour Angélique. J’épouse sa fortune, elle épouse mon talent, et de la sorte nous n’avons qu’à battre des mains au contrat. »

Quelques mois s’étaient écoulés depuis la représentation d’Elisabeth, lorsqu’une nuit (avril 1816) le signor Barbaja s’éveilla au bruit de l’incendie de son théâtre. En moins d’une heure, l’un des plus vastes monumens de Naples n’était plus qu’un tas de décombres et de cendres. Le roi Ferdinand ressentit ce désastre plus douloureusement encore que Barbaja. Dilettante chaleureux, appréciateur raffiné de la danse et des ballets, ce prince était attaché de corps et d’âme à San-Carlo, et la perte de la moitié de ses états l’avait, assure-t-on, moins affligé jadis que ne l’affligea la perte de son théâtre. Quant à maître Barbaja, il sut envisager la catastrophe d’un œil plus calme. « Sire, dit-il à l’inconsolable monarque, cet immense théâtre que la flamme achève de dévorer, je vous le referai en neuf mois, et plus beau qu’il n’était hier. Quant aux sommes que cela va coûter, que votre majesté veuille bien ne point s’en inquiéter; s’il ne s’agit que d’avancer deux ou trois cent mille écus à la couronne, je puis le faire.»

A la suite de l’incendie de San-Carlo, la plus grande partie du personnel fut congédiée; la Colbrand seule, à cause de la double nature de ses fonctions, resta à Naples. Rossini, rendu provisoirement à sa liberté, partit pour Rome, et là écrivit Torvaldo et Dorliska, qu’il donna au théâtre Valle. Alléché par le brillant succès de cette partition, le directeur du théâtre Argentina accourt en toute hâte chez le maestro, proposant les plus riches conditions, s’il veut s’engager à lui livrer immédiatement un opéra nouveau.

— Très volontiers, dit Rossini ; mais avez-vous un poème quelconque sous la main ?

— J’en ai dix, j’en ai quinze; malheureusement la censure, qui prétend voir partout des allusions coupables, ne me permet pas d’en jouer un seul.

— Autant dire alors que vous n’en avez point. Il faut convenir que nos prédécesseur étaient d’heureux mortels. Où trouver, au temps où nous vivons, un Métastase, un Da ponte, un Casti[1] ? Voyons,

  1. Pietro Bonaventura Trapassi, dit Metastasio (né le 3 janvier 1698 à Assise, mort à Vienne le 12 avril 1792). Il avait à peine quatorze ans lorsqu’il composa son premier poème, Il Giustino. En 1724, il écrivit pour Domenico Sarro sa Didone abbandonata, qui fut représentée à Naples, puis, pour les divers maîtres de son temps, Artaxercès, Attilio Regolo, Temistocle, la Clemenza di Tito, Alessandro nell’India, et nombre d’autres ouvrages formant l’édition en dix volumes dédiée à la marquise de Pompadour, et publiée à Paris en 1755. — Lorenzo da Ponte, né en 1794 à Anoda, mort à New-York en 1836. A lui revient l’immense honneur d’avoir fourni à Mozart le texte tout shakspearien de son chef-d’œuvre, et peu importe à sa gloire après cela d’avoir écrit les Danaïdes pour Salieri et l’Arbre de Diane pour Martini. — Giambattista Casti, l’auteur des Animali parlanti. Nommé, à la mort de Metastase, poète lauréat de la cour de Vienne, il écrivit la Grotta di Trionfo et Il ve Teodoro in Venezia, dont Paisiello fit la musique. On cite aussi au nombre de ses poèmes dramatiques un opéra de Catilina, où le vieux Cicéron joue un rôle bouffe et chante une cavatine ayant pour texte le fameux Quousque tandem.