Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/468

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’y aurait-il pas moyen, en cherchant bien, de découvrir parmi les pièces déjà représentées quelque chose d’inoffensif ?

— J’y ai pensé, mais j’ai peur que le titre que je vais vous proposer ne vous agrée point.

— Dites toujours.

Le Barbier de Séville.

— Paisiello l’a déjà mis en musique.

— Et c’est justement ce qui rend la spéculation magnifique. La curiosité s’en mêlera, on voudra comparer; nous aurons des guelfes et des gibelins, polémique, antagonisme, coteries, guerre de partisans ! Tenez, maître, je vous parie une chose...

— Laquelle ?

— C’est que vous allez faire un chef-d’œuvre, et qu’avant peu il ne sera plus question du Barbier de Paisiello.

— Il faudra voir cela dans trois semaines, dit alors Rossini en congédiant l’impresario, qui s’en alla ravi du succès de sa démarche.

Le même jour, Rossini écrivit à Paisiello, qui vivait à Naples à cette époque, où il y dirigeait le conservatoire, ayant quitté Paris depuis 1814, avec une pension de 4,000 francs et la croix de la légion d’honneur. Le vieux maître, qui n’aimait au fond que sa propre musique et goûtait médiocrement les succès d’autrui, répondit en homme de tact qu’il ne doutait pas que le brillant génie de son jeune rival ne sût donner un nouveau charme à un ancien thème, et qu’il ne pouvait que lui adresser d’avance ses cordiales félicitations à lui, Rossini, ainsi qu’à toutes les scènes d’Italie qui bientôt compteraient un chef-d’œuvre de plus. Encouragé par les congratulations plus ou moins sincères d’un grand compositeur émérite, l’auteur de Tancredi se mit donc au travail, et de cet instant mena bon train l’inspiration. On a mainte fois raconté le prodigieux tour de force dont Rossini donna l’exemple à cette occasion : le Barbier de Séville fut composé en treize jours. « Un membre de l’Académie française, disait Montesquieu, écrit comme on écrit; un homme d’esprit écrit comme il écrit.» Mot charmant dont cette éblouissante partition démontre la justesse et qu’on ne