Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/476

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sublimités futures des Huguenots et du Prophète, dut, comme pour payer son tribut au charme irrésistible des lieux, s’oublier dans les suaves cantilènes de Romilda e Costanza et de l’EsuIe di Granata, Il se peut que la musique soit appelée à de plus hautes destinées : les Allemands l’ont mise dans les nuages, les Italiens la placent sur la terre, en lui donnant pour objet de distraire le pauvre cœur humain de ses ennuis, de le consoler de ses peines, de chasser l’humeur noire et les diables bleus, et ma foi cette mission-là, quoi qu’on dise, en vaut bien une autre !

J’ai connu, quand j’avais vingt ans, un homme de beaucoup d’esprit qui détestait systématiquement la musique italienne et nourrissait à l’égard de Rossini une insurmontable aversion. Naturellement l’amateur en question n’avait jamais quitté l’asphalte du boulevard de Gand. Or il arriva qu’un jour notre homme fit un voyage en Italie, qu’il entendit cette musique, objet d’une sainte horreur, exécutée par des chanteurs et des orchestres de beaucoup inférieurs à ceux qu’il avait pu entendre ici. En moins de trois mois, sa conversion était complète, tellement complète, que cet antagoniste encroûté de la veille devint un zélateur passionné. Je le rencontrai moi-même en Italie à quelque temps de là, et, tout en causant ensemble une après-midi sous les palmiers de la villa Gallo, comme je lui demandais de me dire la cause de cette subite et radicale transformation, il se contenta de sourire en silence et de me montrer le spectacle qui se déroulait autour de nous. Le soleil venait de se coucher derrière le Pausilippe, noyant dans l’or de ses derniers rayons les îles de Caprée et d’Orlandi, et tandis que les cimes du Vésuve et de Sant-Angelo flamboyaient encore dans la pourpre occidentale, Amphitrite étendait déjà sur le golfe les nappes violettes de son voile. Quiconque aura jamais contemplé l’enchantement de ce tableau comprendra comme nous ce que l’aspect d’une telle nature doit ajouter à la magie des sons. C’est du sein de cette manière de sentir que se sont élancés les Raphaël, les Corrège et les Cimarosa. « Il est des jours où la beauté seule du climat suffit au bonheur, » écrit quelque part l’auteur des Promenades dans Rome, Jusqu’ici Rossini n’a connu que le ciel de Naples et de Venise, plus tard nous le verrons regarder du côté de l’Allemagne et de la France; en attendant, laissons-le se livrer au doux plaisir de vivre, laissons-le surtout obéir à cette veine mélodieuse qui déborde avec le sentiment du fortuné pays qui l’inspire, et ne pas même soupçonner qu’il y ait au monde une autre musique que celle d’Italie.


HENRI BLAZE DE BURY.