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Simancas, où les papiers d’état étaient restés ensevelis jusqu’à nos jours. Ce qui n’était qu’une ombre, une rumeur populaire, éclate dans ces pages chargées de l’écriture du roi. L’histoire avait eu le pressentiment de ces œuvres ténébreuses : elle avait, comme Cassandre, reconnu le meurtre à l’odeur du sang ; mais ces révélations posthumes ne laissent pas de vous frapper quand vous tenez dans vos mains le sceau officiel.

J’ai vu l’Escurial désert ; il n’y restait pas un moine pour faire la garde autour du spectre de Philippe II. C’est à ce moment que les murs ont parlé.

Avant que l’on possédât cette correspondance, on n’avait jamais touché du doigt la grande embûche qui enveloppe les peuples des Pays-Bas pendant plus d’un demi-siècle. L’histoire manquait de base. Heureusement Philippe II a pris soin de révéler lui-même le côté secret des choses et de montrer le nœud de l’affaire. Il confie très nettement sa pensée au seul homme qui ait mission de l’entendre et de la juger, au pape. Quand, par-dessus la tête de toutes les nations courbées et muettes, on entend ce dialogue du roi catholique et du pontife romain, l’un déclarant dans quel piège sanglant il veut faire tomber ses peuples, l’autre acceptant et consacrant le piège, quand on voit ces deux hommes qui tiennent à cette heure presque toute la terre sous leur main tramer l’immense conjuration en des dépêches officielles que chacun peut lire aujourd’hui, il est impossible de ne pas reconnaître que l’histoire a fait un pas.

Quelle est cette pensée secrète, nœud de tout le XVIe siècle, dans l’esprit de Philippe II et de Pie V ? La voici telle que le roi l’expose sous le sceau du secret. Le roi promet un pardon à ses peuples suspects d’hérésie, cela est vrai ; mais que sa sainteté ne se scandalise pas : ce pardon publié, annoncé, juré, n’a aucune valeur, n’étant pas autorisé par l’église. D’ailleurs le roi pardonne volontiers l’injure qui le touche ; il n’a pas le droit de pardonner l’injure faite à Dieu : la vengeance que l’on doit au ciel reste sous-entendue, pleine, entière, malgré le serment de mansuétude. Philippe Il sera clément ainsi qu’il l’a juré ; Dieu, par la main du duc d’Albe, sera inexorable. Le roi enverra dans ses dépêches de bonnes paroles de réconciliation qui désarmeront les âmes ; Dieu, par la main de l’armée espagnole, mettra, s’il le faut, tout un peuple au gibet. Le bourreau tombera à l’improviste sur les dix-sept provinces ; il les châtiera par le feu, par le fer, par la fosse, au besoin jusqu’à leur totale destruction. Ainsi