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simultanée de ces deux races, et il en fait le point de départ de l’histoire moderne. « Au temps des premières invasions, dit très bien M. Ranke, le Wisigoth Ataulf voulut faire de la Romanie une Gothie et en être le César. Ataulf avait eu une grande idée : tous ces peuples devenus depuis longtemps une même nation au sein de la civilisation latine, il voulait les fondre avec certaines races septentrionales et en composer un nouveau monde. Le projet d’Ataulf échoua, mais le but était nettement indiqué, et, quelques siècles plus tard, ce ne furent pas seulement les Wisigoths, ce fut toute la famille des nations germaniques qui réalisa le plan du chef barbare. » M. Ranke a tracé le tableau de cette féconde alliance depuis Charles Martel jusqu’à Christophe Colomb. Jamais pareil spectacle n’avait été donné au monde. Ce n’est pas une race qui absorbe l’autre comme dans la société antique ; ce sont deux races diversement puissantes, qui, divisées par des luttes séculaires, n’en travaillent pas moins à une même œuvre. Interrogez les arts, les idiomes, les institutions du moyen âge : à travers tant de différences qui peuvent tromper un œil inattentif, une inspiration semblable les anime. Les races germaniques et romanes ne sont-elles pas les vraies races chrétiennes, celles qui ont adopté naturellement la religion de Jésus et qui l’ont portée au loin avec un prosélytisme sans exemple ? Les croisades ne sont-elles pas l’élan simultané des peuples allemands et des peuples néo-latins ? Et lorsque Christophe Colomb aura accompli son merveilleux voyage, qui donnera la vie au Nouveau-Monde ? Des colons de race tudesque et des colons de race romane ; les Anglo-Saxons dans l’Amérique du Nord, les Espagnols et les Portugais dans l’Amérique du Sud, c’est comme un prolongement de l’action européenne. « Il y a d’autres races en Europe, s’écrie M. Ranke ; mais que ces races sont loin de nous ! Au contraire, tout ce qui est marqué de l’empreinte germanique ou romane, nous le saluons à travers l’Océan comme une chose qui nous appartient. En vérité, nous sommes plus près de New-York ou de Lima que de Kiew ou de Smolensk. « 

Quelle était, à la fin du XVe siècle, la situation respective de ces peuples ? Le moyen âge finit, l’ère moderne est ouverte : sorties des liens de l’enfance, par quels actes les nations germaniques et romanes vont-elles inaugurer leur âge viril ? Tel est proprement le sujet de M. Ranke. Jusqu’à cette date, la communauté dont parle l’historien était facilement visible, grâce à cette même foi chrétienne qui recouvrait merveilleusement toutes les différences de race. Les guerres les plus longues n’étaient que des combats singuliers ; c’était la lutte de l’Italie et de l’Allemagne, le duel de l’Angleterre et de la France. Le XVe siècle, en finissant, donne le signal des grandes