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contre tout ce qui semble déroger aux lois de la nature. De là à croire à un vrai dérangement dans l’ordre de l’univers il n’y a qu’un pas; mais ce pas, considérer à la chose sous tous les points de vue, est infranchissable. Admettez-vous la grande idée de la puissance créatrice qui a produit et coordonné l’univers, vous y trouvez que la toute-puissance qui en a fixé les lois est elle-même esclave de ces lois qu’elle a fixées, car autrement il faudrait admettre en elle une imprévoyance ou une ignorance qui répugnent au plus simple sens commun. Dieu, suivant la belle expression de Sénèque, a parlé une fois, et depuis il s’obéit toujours à lui-même. Semel jussit, semper paret ! Admettez-vous la nature s’organisant elle-même sous l’empire des propriétés innées de la matière éternelle et de la vie : alors qui peut commander une dérogation aux lois qui résultent de ces propriétés, puisqu’il n’y a aucun pouvoir directeur, aucun donneur d’ordre pour suspendre ou contredire la marche fatale des faits ? Je n’examine pas ici le cas d’un miracle absurde, immoral ou ridicule, que le sens commun rejette dans toutes les hypothèses.

Nous voilà donc autorisés à établir des principes qui, pour les lois de la nature, doivent être exclusivement tirés de l’observation des faits. Pour savoir ce qui est, il faut observer. Les collections de faits conduisent à des inductions qui, vérifiées dans tous les cas où peut atteindre l’observation, deviennent des lois, des principes qui ont toute la certitude que comporte le sujet. Ainsi on a reconnu que tous les corps sont pesans, mobiles, résistans, électriques, agissans sur les organes du tact, de l’ouïe, de la vue. Au lieu de chercher théoriquement avec Descartes à deviner les propriétés qui font l’essence de la matière, on a reconnu et mesuré expérimentalement avec Bacon toutes les propriétés physiques de la matière. Par exemple, au lieu de se consumer en vains efforts pour comprendre ce que c’est que l’élasticité, on a emprisonné dans le fer la vapeur élastique de l’eau produite par le feu, et on a obtenu la machine à vapeur. L’exposé des résultats des sciences d’observation est donc le véritable code de la nature, code qui peut être incomplet, mais qui n’admet point de loi fausse. C’est donc ce code, produit de la méthode d’induction, de l’observation patiente et de la logique mathématique, qu’admet la raison comme un ensemble de lois irréfragables auxquelles toute contravention sera une véritable réduction à l’absurde.

Prenons un exemple dans notre sujet. Tous les corps sont pesans, tous non soutenus se précipitent vers la terre. Ici, point d’exception ni même de variété dans l’exercice de cette propriété, la plus générale de toutes. Un kilogramme de pierre, d’argent, de fer, d’eau, un kilogramme d’huile, d’air même, pèsent tous de la même manière. Il n’y a ni plus ni moins dans cette force, il n’y a ni intermittence, ni spécialité. Or on vient me dire que les sujets ou mediums, dans les manifestations américaines, font mouvoir des objets sans les toucher et maintiennent en l’air et sans support des corps matériels immobiles. Dès lors je reconnais l’impossibilité du fait énoncé et l’erreur ou l’imposture du narrateur. Je ne parle pas seulement du cas où l’on a vu des hommes soulevés de manière à toucher le plafond avec leur tête et qu’on ramenait en bas en les tirant par les pieds; mais si seulement on pouvait faire tenir en l’air une petite pièce d’or, un dollar américain, ou la pareille petite pièce