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française de cinq francs, alors on gagnerait créance pour toute manifestation surnaturelle que l’on voudrait faire adopter. Je n’ai pas besoin de dire que nous en sommes à attendre ce miracle positif, et que sans aucun doute nous l’attendrons éternellement[1]; et remarquez à quels embarras vous ouvrez la porte par vos prétentions au surnaturel ! Vous obtenez, je l’admets pour un moment, un effet contraire aux lois bien établies : on vous demandera d’expliquer le motif de ce trait de folie de la nature; on vous dira qu’il répugne à la raison, à la plus simple intelligence d’admettre qu’à la volonté d’un individu tout l’édifice si bien coordonné du monde physique soit contrarié, et on vous pressera de tant d’argumens irrésistibles, que vous serez moins embarrassé de croire à une erreur, à une illusion de votre part qu’à une inconséquence dans le système du monde. Certes un astronome qui verrait la lune aller éclipser l’étoile polaire n’en croirait pas ses yeux. Rien d’impossible comme un miracle absurde, et notez bien ici que dès que vous dites miracle ou fait surnaturel, vous impliquez tacitement l’idée d’une renonciation volontaire à l’ordre de choses général. Or cette dérogation doit avoir une cause, qui est alors un motif, puisqu’il y a contradiction aux lois ordinaires. Vous voilà tenu de légitimer ce motif; votre fait prétendu surnaturel vous conduit à devenir logiquement responsable de l’intention qui l’a produit, et alors gare les motifs insuffisans, vulgaires ou ridicules !

Ouvrez tous les livres qui rapportent des faits miraculeux et notamment les miracles des convulsionnaires de Saint-Médard au tombeau du diacre Pâris, vous y verrez la thèse des miracles mal faits examinée à fond et admise sans réserve. L’auteur parle des faiseurs de difficultés qui se révoltent d’une manière si indécente et qui nient tout net que l’opération de Dieu puisse se trouver partout où ils s’imagineront trouver du puéril, du bas, de l’indécent. Que ferait de pis contre la puissance divine le plus acharné sceptique ? Et tout cela pour arriver à conclure que les jansénistes avaient raison contre les molinistes! Le livre est de 1732. Quelle pauvreté! On voudra bien me dispenser de citations de même force tirées d’ouvrages publiés en 1852, 1853 et 1854 !

Avant de quitter cet ordre de questions, je mentionnerai avec éloge les travaux d’érudition des auteurs qui ont recherché dans tous les écrits de l’antiquité sacrée ou profane ce qui se rapporte aux faits prétendus surnaturels. Je n’y ai point vu cependant cette indication de saint Hilaire et de plusieurs écrivains sacrés, savoir que la suppression de l’action de la

  1. J’ai dit plus haut que tout expérimentateur avait le droit, sinon écrit, du moins tacitement reconnu, de venir provoquer un examen de l’Académie des Sciences sur un résultat quelconque obtenu par une observation consciencieuse. Les portes de l’assemblée sont libéralement ouvertes au public à toutes les séances du lundi, et un expérimentateur quelconque peut demander la parole pour faire connaître ses travaux par la lecture d’un mémoire explicatif. Eh bien! qu’un de ceux qui n’admettent pas les principes déduits des faits connus jusqu’ici arrive avec l’annonce qu’au moyen de tant de mediums qu’il voudra, mais sans contact aucun et à distance, il suspend en l’air, sans autre support que la volonté, un corps pesant plus compacte que l’air et tout à fait en repos : si son assertion est reconnue vraie, il sera proclamé le premier des savons du monde entier.