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Et frappant du manche de sa cravache la paume de sa main, il imita le trépignement des marteaux sur l’enclume, et chanta :

Rikke-tikke-tak
Rikke-titke-tou!
Façonnons
Le fer rouge
En bons forgerons.
Et qu’aucun ne bouge
Avant l’œuvre à bout !
Rikke-tikke-tou!

La jeune fille se mit à trembler de tous ses membres jusqu’à la fin du couplet, et s’écria alors avec un transport de joie : — Oui, oui, Rikke-tikke-tak!

Et elle frappa des mains aussi sur le rhythme de la chanson.

— Ne vous souvenez-vous pas, ma fille, qu’un homme vous faisait danser sur son genou sur l’air de Rikke-tikke-tak ?

Lena posa un doigt sur sa bouche et ferma les yeux. Après un instant de silence, elle répondit à mi-voix, comme si elle doutait : — Cet homme... cet homme... c’était mon père !

À ce mot, un frisson subit parcourut tout le corps du colonel; il ouvrait déjà les bras pour embrasser Lena, mais il se contint encore et demanda : — O mon enfant, votre nom est-il bien Lena ? Réfléchissez un peu... Ne savez-vous pas le nom que l’homme vous donnait quand vous alliez à cheval sur son genou ?

Lena fixa les yeux sur le sol, et songea un instant, puis elle dit d’une voix hésitante : — Il disait : Chère... chère Monique!

— Ma fille! ma fille! s’écria le colonel avec tant de violence, qu’on eût pu l’entendre de loin, et il enferma Monique dans ses bras.

La jeune fille leva lentement vers lui ses yeux noire, lui sourit doucement, et, succombant à l’émotion, s’affaissa bientôt sur le sein palpitant de son père.

Une heure après, le colonel, donnant le bras à sa fille, s’éloignait du massif d’aunes, et prenait le chemin de Moll ; le lieutenant montait l’un des chevaux et conduisait l’autre par la bride. Le pâle visage de Monique était coloré d’une légère rougeur semblable à celle qui teint les pétales de certaines roses blanches; elle ne pouvait détourner les yeux de son père, et lui souriait avec bonheur; lui, il caressait la tête et les épaules de la jeune fille, et souvent l’arrêtait pour poser un baiser sur son front.

Ils marchèrent ainsi à travers la bruyère, faisant de fréquentes haltes jusqu’à ce qu’ils aperçussent à leur droite la ferme solitaire, et ne pussent faire un pas de plus sans s’éloigner de celle-ci.

L’intention formelle du colonel était de ne pas mettre le pied dans