Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/576

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à lui adressée à propos de son humble extraction. Transporté de colère, il tira le cordon de sonnette, et frappant violemment le tapis du pied : — Je veux savoir, s’écria-t-il, qui a l’audace ici de se railler de moi !

Un domestique vint prendre les ordres du maître; celui-ci dit d’une voix courroucée : — Il y a là dehors un insolent qui chante sous la fenêtre. Allez avec vos camarades, empoignez-le; je veux le voir. S’il résiste, employez la force.

— Mon père! s’écria Monique en se levant tout effrayée; que dites-vous ? La force ! savez-vous contre qui ?

— Nous le verrons ! répondit le colonel irrité.

La jeune fille retourna près de la table et se rassit toute frémissante d’anxiété.

On entendit la porte extérieure s’ouvrir et se refermer. Ensuite le domestique rentra dans le salon, et dit à son maître : — Colonel, c’est un pauvre mendiant si faible et si maladif, qu’il se soutient à peine. Le malheureux ne pouvait guère nous résister. Il est là dans l’allée; faut-il le relâcher ?

— Non, non, s’écria, le colonel; je veux avoir le mot de cette énigme... Monique, qu’as-tu à trembler ainsi ? Connaîtrais-tu ce mendiant ? Allons, qu’on l’amène ici!

A peine le pauvre homme, la tête penchée et les yeux baissés, parut-il à la porte de la salle, que Monique poussa un cri déchirant, courut à lui, s’empara de sa main, et s’écria : — Jean, est-ce vous ?

— C’est moi, mademoiselle, répondit le jeune homme sans lever les yeux.

Le colonel demeura quelque temps interdit, et passa la main sur son front comme si une pensée soudaine avait surgi dans son esprit. Toutefois il chassa bien vite ce soupçon, et, prenant le jeune homme par le bras, il l’attira doucement jusqu’à un fauteuil où il le força de s’asseoir. Monique n’avait pas quitté la main de Jean; elle aussi baissait les yeux et restait muette.

Le colonel se rassit, et dit au jeune homme : — Jean Daelmans, pourquoi ne vous êtes-vous pas souvenu de moi dans le malheur ? Ne vous avais-je pas dit, près de la ferme, que.je serais votre protecteur, si vous en aviez jamais besoin ? Je vois jusqu’à quel point vous êtes tombé dans la misère; mais, à dater d’aujourd’hui, vous n’aurez plus à souffrir aucune privation, mon ami. Prenez courage; je ne suis pas ingrat, et je veux commencer sur-le-champ à régler mon compte envers vous.

Le colonel ouvrit le tiroir d’une commode, y prit une poignée de napoléons, et les déposant sur une table voisine du jeune homme : — Tenez, mon ami, dit-il; ce n’est pas une aumône que je vous fais,