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l’affaissement de l’autorité espagnole en Italie, en Sicile, dans les Pays-Bas ; tous les détails qu’il donne sont pleins de nouveauté et d’intérêt ; pourquoi ne sont-ils pas concentrés avec plus d’art ?

Le meilleur titre de M. Ranke, c’est son histoire de la papauté après Luther. Au milieu des qualités plus fortes qui le distinguent, ce qui domine chez lui assurément, c’est la sûreté de coup d’œil et la pénétration. Quelle histoire eût mieux convenu que celle-là pour mettre dans tout son jour la sagacité de l’historien ! l’invention seule du sujet était l’indice d’une rare finesse. La réforme vient de briser l’antique unité de l’église ; il semble que toute la vie de l’intelligence se porte dans cette Europe septentrionale où a été frappé ce grand coup et que le catholicisme n’ait plus désormais pour lui que la sainteté de ses souvenirs. Non ; une sève plus abondante jaillit de l’arbre miraculeux, et ranimé, on le dirait, sous les coups de la cognée, le vénérable tronc va se parer de branches nouvelles. Si l’on songe aux allures hautaines de l’esprit du nord, comment ne pas admirer la sagacité de l’historien qui a retrouvé ce grand fait et y a consacré de savantes recherches ? Ce n’est pas à Munich ou à Vienne, c’est dans la capitale même du protestantisme allemand qu’a été tracé ce sympathique tableau de la renaissance catholique au XVIe siècle.

La justice de M. Ranke pour le catholicisme ne va pas jusqu’à voiler toutes les misères de son sujet. Frappé de l’esprit d’équité qui inspire l’éminent historien, l’écrivain qui s’est chargé de faire connaître son œuvre à la France n’a pas craint de défigurer la grande peinture qu’il prétendait reproduire. Sous prétexte de mettre à profit l’impartialité du peintre, on le rendait coupable d’une étrange partialité en sens contraire. Une protestation très nette de M. Ranke a rétabli son droit, et jusqu’à ce que nous possédions une traduction loyale de l’histoire des papes aux XVIe et XVIIe siècles, c’est le texte allemand qui doit seul être lu avec confiance. — Le premier livre est une introduction brillante qui nous conduit de la naissance de l’église à la fin du XVe siècle. M. Ranke excelle dans ces tableaux rapides. Habile à éviter ce qui est connu, il ouvre à l’esprit maintes échappées lumineuses et provoque utilement la pensée. Les désordres de la papauté à la fin du XVe siècle sont décrits à larges traits ; mais bientôt, après Alexandre M et ce César Borgia qu’il appelle si bien un virtuose dans l’art du crime, que d’intéressantes figures il déroulera sous nos yeux ! Connaissez-vous un tableau plus spirituellement profond que celui de Jules II et de Léon X ? Point de déclamations protestantes, c’est à peine si le nom de Luther est prononcé ; mais voyez cette ivresse des plaisirs de l’esprit si parfaitement décrite en quelques pages ! Il y avait à Rome le temple le plus saint de la terre, la vieille basilique de Saint-Pierre, la métropole de la chrétienté ; Jules II la