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enfin dans un passage au pouvoir, non sans quelque grandeur politique, mais suivi d’une chute bien prompte et des fautes inévitables que le dépit entraîne.

Son titre le plus réel à cette époque, titre aujourd’hui couvert d’un oubli momentané, mais immortel, il faut l’espérer, ce fut d’avoir décrit, résumé les principes de la monarchie représentative, du droit parlementaire, du libre vote et de la libre discussion. En retraçant pour l’avenir ces vérités élémentaires avec une admirable énergie, M. de Chateaubriand semblait écrire les dernières volontés de la France. On peut regretter que, selon le conseil et l’exemple de Tacite, il n’ait pas réservé pour sa vieillesse d’autres études sévèrement et exclusivement historiques. Les Mémoires qui ont occupé ses dernières années sont loin d’avoir la même autorité et la même dignité; mais ce sera sans doute la condition inévitable de notre siècle fertile en catastrophes publiques et privées d’abonder en mémoires particuliers. Les mémoires sont la consolation et la revanche des gouvernemens ou des partis déchus. On nous en promet un grand nombre, outre tant de mémoires purement militaires ou à demi apocryphes déjà mis en lumière; mais nous n’avons vu jusqu’ici de marqués au coin du génie que ceux de Napoléon, publiés tranquillement à Paris, dans les dernières années de la restauration, par des confidens qui certainement n’y avaient pas travaillé, et qu’on ne peut soupçonner d’avoir embelli ces dictées, reprises à plusieurs fois par lui-même, mais demeurées trop originales pour n’être pas présumées à peu près intactes.

M. Nettement dans son tableau littéraire de la restauration, M. Demogeot dans les chapitres ingénieux qui terminent son Histoire de la Littérature française jusqu’en 1830, ne parlent pas assez de cette grande œuvre historique qui nous était rapportée de Sainte-Hélène après la mort du conquérant, et douze années avant ses restes mortels. Chose singulière en effet ! ce livre, composé de fragmens et parfois de répétitions, ce portique d’un édifice inachevé, mais renfermant les grands bas-reliefs de la campagne d’Italie, de la campagne d’Egypte, de la veille et du lendemain du 18 brumaire, cet écrit digne de César, mais de César malheureux et mélancolique, fut assez peu remarqué à sa première apparition. Publié chez M. F. Didot, dans un beau format, le livre s’écoula lentement, et l’effet en fut presque insensible parmi les débats et la polémique orageuse du temps. Je me souviens seulement qu’un homme considérable d’alors, longtemps ennemi de l’empire et un des plus importans soutiens de la restauration, me dit à cette époque : « Je crois maintenant au génie de l’empereur, son livre me dit plus que son règne. » Cela était vrai; mais la sévérité même de ce livre, cette statue sans ornemens,