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taillée dans le granit, ces guerres racontées avec une admirable précision, cette politique brève et impérieuse, toute pleine de passion et d’imagination, mais se contenant, sous une austère et sombre gravité, dans la contemplation de sa chute présente, tout cela, pour le moment, parlait à peu d’esprits et ne saisit pas l’opinion publique, emportée par un courant de révolutions nouvelles.

Il n’en appartenait pas moins à l’historien littéraire de cette époque d’insister sur une telle publication, d’en noter peut-être les influences futures et de lui faire sa place dans ce qu’il a d’ailleurs justement caractérisé cette reconstruction de la renommée impériale, cette légende napoléonienne à laquelle ont concouru de tant de côtés et sous tant de formes publicistes et chansonniers, royalistes et démocrates, tout le monde enfin, tantôt l’opposition et tantôt le pouvoir lui-même.

Ainsi, comme on le voit dans le livre de M. Nettement, dans d’autres écrits sur la littérature du XIXe siècle, et, comme on le sent partout, dans le sujet même de ces ouvrages, la littérature, écho de la pensée publique ou vive expression de la pensée personnelle, revient toujours à la politique, c’est-à-dire au grand et suprême intérêt de la société, à ce qui est la vie et l’honneur des états, comme l’habileté active est la vie et la distinction de l’individu. Tantôt c’est la politique religieuse et même ultramontaine, tantôt la politique constitutionnelle, mais toujours la politique, c’est-à-dire la question de la liberté et du gouvernement des hommes, et partant de leurs progrès et de leur durée en tant que nation, de leur bien-être et de leur satisfaction morale en tant que citoyens et membres d’une société au premier rang des sociétés modernes.

Loin donc de nous étonner et de nous plaindre de la grande place faite à cet intérêt dans un ouvrage sur la littérature et l’esprit français, nous dirons que cet intérêt même est l’âme d’un tel ouvrage et ce qui en fait à la fois le mouvement et l’importance historique. Nous voyons passer tant de choses, que nous oublions beaucoup. Des détails précis sur les premières prédications et sur l’influence prolongée de M. l’abbé Fraissynous, sur M. l’abbé de Lamennais et sur Rome, sur les principes gallicans et sur le jeune clergé de 1825 et par-delà, prennent une signification aujourd’hui fort curieuse. Par là encore, la place que l’historien de la littérature sous la restauration réserve à la jeune école philosophique qui se formait alors, l’hommage d’inquiétude qu’il lui rend, la préoccupation qu’il a du brillant éclectisme et de la parole puissante de M. Cousin, ses craintes exagérées de ce qu’il nomme le scepticisme de M. Jouffroy, ne sont pas seulement des jugemens littéraires; ce sont des indices, des symptômes de l’esprit qui agitait la restauration. Presque toujours en effet elle