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douleurs de la royauté mourante au linceul triomphal de l’empire. Ce qui seulement pouvait être remarqué, c’est que nul poète plus que M. Victor Hugo ne contribua par l’ardeur de son admiration posthume, par son crédit sur la jeunesse, par l’éclat de son talent, à cette recomposition d’une gigantesque idole dans l’optique d’un passé qui semblait changer en s’éloignant, et ne servit par là ce culte du malheur et du génie se grandissant l’un l’autre. Tardive apothéose, où gagnait peu la raison publique et qui se formait d’une grande puissance d’oubli et d’une grande partialité d’enthousiasme ! Non-seulement M. Victor Hugo, dans des strophes admirables de verve et de couleur, célébra les accroissemens, l’élévation suprême, la chute profonde du génie qu’il semblait adorer par prédestination (de naissance et attrait naturel pour l’excès dans la force.

Utrumque nostrum, incredibili modo,
Consentit astrum...

Non-seulement il s’anima toujours à ce souvenir, et il frappa les imaginations du reflet éclatant de la sienne aux rayons de ce soleil dont il se disait le Memnon. Il fit plus : il appela de ses vœux, il seconda de sa voix toute démonstration politique à l’appui du passé de l’empire. Peut-on oublier les vers où, devant un ordre du jour adopté par la chambre des députés, il s’indignait que trois cents avocats eussent rejeté la pétition présentée dès lors pour le rappel des cendres et du nom de Napoléon ? Trois cents avocats ! c’était le mot dont le colonel Rapp s’était servi plus de trente ans auparavant dans une courte harangue le matin du 18 brumaire. Combien est expressif le contraste entre l’admiration naïve, la sécurité enthousiaste du poète libéral et les incidens de sa propre destinée !

M. Victor Hugo est dans une position à part, qu’il n’est pas possible d’apprécier ici. Un grand égard s’attache donc à l’éclat de son talent, aux dons éminens qu’il a reçus du ciel, comme à l’illustration méritée de beaucoup de ses écrits. Par ce motif, nous refuserions de suivre aujourd’hui M. Nettement ou tout autre critique littéraire dans le blâme qu’il jetterait par induction rétrospective ou prophétique sur plusieurs des ouvrages de M. Hugo, et presque sur tout l’avenir de cette puissante intelligence. La critique sans doute peut avertir et réprimander le talent, elle le doit même, tant qu’elle est à portée de le prémunir : elle lui doit la vérité contre l’erreur de ses propres systèmes, ou même des engouemens publics ; mais elle aime, lorsqu’elle le voit frappé par l’infortune, à rappeler surtout ce qu’il a fait d’admirable aux jours de la jeunesse et du bonheur, tout ce qu’il conserve plus tard de force originale, et sa part de célébrité durable dans la gloire littéraire du pays.