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talent. Ce fut alors que les noms de Casimir Delavigne, de M. de Lamartine, de M. Victor Hugo, de M. Lebrun, de M. Alfred de Vigny, retentissaient avec un éclat si élevé et si populaire. C’est alors que M. Béranger, sans oublier ses éloquentes rancunes contre l’invasion et ses réminiscences voltairiennes contre l’église, trouva des accens si neufs et si vraiment lyriques sur la renaissance et la liberté de la Grèce. C’était un noble concert que celui de ces voix brillantes et jeunes auxquelles venait se joindre toute une école de poètes en espérance et de critiques novateurs en théorie.

Dans l’antiquité grecque, poète avait signifié faiseur, créateur, dans notre moyen âge, il se traduisit au nord et au midi par le mot de trouveur. Dans ce réveil littéraire de la restauration, il semblait peut-être se rapprocher de l’idée et du mot de chercheur, et il se marquait par une curieuse étude de tout ce qui pouvait promettre le neuf et l’inattendu dans le choix des sujets, dans la couleur des détails, dans le degré des émotions et les rapports secrets de la mesure et de l’harmonie.

De tout ce travail cependant, de toute cette seconde renaissance, ce qui domina, ce qui monta droit au ciel comme la flamme, ce furent avant tout quelques élans élégiaques et lyriques que la plus heureuse nature semblait prodiguer sans art, sans calcul et presque sans travail, — ces chants de M. de Lamartine, venant tout à coup dissiper par un charme durable le prestige au moins exagéré de Delille et nous versant à pleins bords une nouvelle poésie. On peut dans quelques pages de M. Nettement, dans ses jugemens réfléchis et aussi dans ses sévères réticences, comme dans les admirations plus vives et parfois trop contemporaines qu’exprime un écrivain de talent, M. Demogeot, revoir le tableau de cette époque poétique; elle ne restera pas sans gloire dans l’avenir.

Je ne discuterai pas ici, dans toutes ses parties, l’opinion émise sur un poète éminent de la pléiade d’alors, l’auteur des Ballades et des Orientales, des Feuilles d’Automne et des Chants du Crépuscule, des Rayons et des Ombres. Je ne veux point rechercher s’il n’y a point quelque rigueur dans l’habile et loyal critique à ramener trop exclusivement M. Victor Hugo à ses premiers essais lyriques, à deux odes, fort belles d’ailleurs, sur Louis XVII et sur les funérailles de Louis XVIII. Soyons plus équitables, même en étant sévères. Non, ce Talent si éclatant et si riche dans sa surabondance, si mobile par sa force, ce clairon suspendu et sonore, n’appartenant d’abord à aucun drapeau, mais fait pour retentir à tous les souffles de la renommée, cette puissance originelle de poète enfin n’était pas attachée, dans sa supériorité, à un seul ordre d’idées et de souvenirs. Elle passait avec une égale vivacité de la Vendée au consulat et à Marengo, des