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l’effet avait été de le rendre enfin complètement homogène sans augmenter, à beaucoup près, sa force morale. Lord Castlereagh, qui, dans les premiers temps, y avait dirigé avec assez peu de succès l’administration de la guerre, qui ensuite avait dû se retirer par suite d’une querelle avec un de ses collègues, venait d’y rentrer comme principal secrétaire d’état pour les affaires étrangères.

La guerre contre la France, commencée vingt ans auparavant, en 1793, suspendue un moment en 1802 par la paix d’Amiens, reprise en 1803 avec un redoublement de passion, se poursuivait au moyen d’efforts et de sacrifices inouïs. Sur mer, le succès de l’Angleterre avait été complet : la marine française, presque détruite à Aboukir, à Trafalgar et dans vingt autres combats, ne pouvait plus sur aucun point tenir tête aux forces britanniques, et toutes nos colonies, toutes celles des états soumis à notre domination étaient successivement tombées au pouvoir de l’ennemi. Longtemps, il est vrai, ces résultats, quelque grands qu’ils fussent, s’étaient effacés devant l’éclat incomparable des victoires que Napoléon remportait sur le continent et de ses prodigieuses conquêtes. Vainement le cabinet de Londres, par ses négociations et par ses subsides, était parvenu à organiser contre lui les plus formidables coalitions : les journées d’Austerlitz, d’Iéna, de Friedland, de Wagram, avaient mis l’Europe aux pieds de l’empereur ou dans son alliance. Un moment, l’Angleterre exclue, repoussée de tout le littoral européen, s’était vue réduite à n’avoir d’autres alliés que les rois des Deux-Siciles et de Sardaigne, dépouillés eux-mêmes de leurs possessions continentales et réfugiés dans leurs états insulaires, où elle parvenait à peine à les maintenir. Bientôt, il est vrai, les fautes de Napoléon, les aveugles et coupables excès de son ambition, avaient changé cet état de choses et donné à l’Angleterre d’utiles auxiliaires : les Espagnols et les Portugais, dont il avait voulu violer la nationalité, abandonnés à eux-mêmes par leurs faibles princes, s’étaient insurgés : l’Angleterre s’était empressée d’accourir à leur aide. Sur le champ de bataille qu’on lui avait ainsi fourni, ses soldats, conduits par un habile capitaine et secondés par des populations enthousiastes, avaient obtenu des succès inattendus ; pour la première fois, les armées françaises avaient éprouvé une résistance dont, malgré leur nombre, malgré leurs efforts redoublés, elles ne pouvaient triompher, et l’Europe, naguère consternée et découragée, avait commencé à soupçonner que l’ascendant de Napoléon n’était pas absolument irrésistible.

Dans la voie funeste où il était engagé, il n’est guère possible de revenir sur ses pas ou même de s’arrêter ; les témérités appellent les témérités. L’empereur des Français, qui semblait devoir puiser une utile leçon dans les tristes conséquences de l’invasion de l’Espagne et