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dans les inextricables embarras où elle l’avait plongé, n’y vit au contraire qu’un motif de chercher à effacer par de nouveaux triomphes les premiers revers qui eussent compromis l’éclat de ses armes. La Russie, bien que son alliée, subissait moins docilement que les puissances allemandes les lois de son omnipotence ; pour la contraindre à plier sous le joug commun, il lança sur son territoire une immense année où figuraient, à côté des troupes françaises, les contingens de presque tous les états européens, de l’Autriche, de la Prusse elle-même, réduites, dans leur profond découragement, à briguer la faveur de concourir au succès d’une entreprise qui, si elle eût réussi, aurait définitivement rivé leurs fers.

Les derniers mois de l’année 1812 virent la fin désastreuse de cette expédition. La plus puissante armée qui ait peut-être existé, cette année, à laquelle il semblait qu’aucune force humaine ne pourrait opposer une résistance efficace, expira dans les horreurs du froid et de la faim, et l’Europe entrevit enfin la possibilité d’une lutte dernière. Une puissante coalition se forma encore une fois contre son dominateur. À l’Angleterre, à la Russie, à l’Espagne, au Portugal, déjà unis par des traités d’alliance, venait de se joindre la Suède. Elle était pourtant gouvernée par un Français, par Bernadotte, qui avait conquis sa renommée et sa fortune au service de la république et de l’empire, et que, par un singulier concours de circonstances, le peuple suédois s’était vu amené à choisir pour héritier de la couronne ; mais le nouveau prince royal, de tout temps hostile à Napoléon, n’avait pas tardé à penser que les intérêts du peuple dont il était l’élu ne pouvaient s’accorder avec les exigences hautaines et souvent injurieuses de l’alliance française. Séduit par les caresses et les flatteries de l’empereur Alexandre, il lui avait promis son concours dans un moment où tout le continent s’armait contre lui, et à ce prix la Russie et l’Angleterre s’étaient engagées à l’aider à conquérir la Norvège sur le Danemark, ce fidèle allié de l’empire français.

À mesure que l’armée russe, poursuivant les débris de l’armée française, s’avançait sur le sol de l’Allemagne, elle y trouvait d’autres auxiliaires. Les populations, depuis longtemps fatiguées et humiliées du joug pesant que leur imposait le système de la confédération du Rhin, appelées tout à la fois par les sociétés secrètes à l’indépendance nationale et a la liberté politique, s’insurgeaient de toutes parts. Les gouvernemens, rendus plus circonspects par le mauvais succès et les désastreuses conséquences de tant d’autres tentatives d’affranchissement, hésitaient davantage. Le cabinet de Berlin, loin de seconder les premières démonstrations patriotiques de son armée et de son peuple, s’empressa d’envoyer à Paris un personnage considérable pour les désavouer et pour protester de sa fidélité à