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son crédit, qui lui permettaient de payer aux confédérés d’énormes subsides, sans lesquels il leur eût été impossible d’entretenir leurs armemens, lui assuraient, par rapport à eux, un moyen d’influence dont il fallait sans doute user avec ménagement, mais qui, à un moment donné, pouvait devenir décisif. Enfin ses intérêts particuliers étaient complètement distincts de ceux des autres états coalisés. Ce qu’il réclamait comme le prix des immenses sacrifices d’une lutte de vingt années, c’étaient des îles, des colonies enlevées à la France et à la Hollande, occupées en ce moment par ses forces, et qu’aucun des alliés n’avait le moindre motif de lui disputer. Sur le continent de l’Europe, il ne demandait que deux choses, un arrondissement territorial pour le Hanovre, domaine patrimonial des rois d’Angleterre, et la formation sur la frontière septentrionale de la France d’un état assez fort pour opposer une digue à de nouveaux débordemens de la puissance française, ce qui, suivant lui, ne pouvait avoir lieu qu’au moyen de la réunion de l’ancienne république des Provinces-Unies à la plus grande partie des provinces belges, sous la souveraineté du prince d’Orange. La question du Hanovre, déjà réglée en principe par les traités qui avaient constitué la coalition, ne faisait pas difficulté. Quant à l’élévation de la maison d’Orange sur le trône des Pays-Bas réunis, elle entrait aussi, sous beaucoup de rapports, dans les convenances des autres cours ; la Russie s’y montrait très favorable, et le cabinet de Londres s’était déjà assuré le consentement de l’Autriche, ancienne souveraine de la Belgique, qui ne demandait pas mieux que d’échanger cette possession éloignée contre des provinces plus rapprochées du centre de l’empire.

Je le répète, l’Angleterre était à tous égards en mesure de s’interposer utilement comme médiatrice entre ses alliés. On le comprenait si bien, que tous hâtaient de leurs vœux l’arrivée de lord Castlereagh, et les représentans de l’Angleterre auprès des trois principaux cabinets le pressaient d’autant plus d’accélérer son voyage, que, n’étant pas eux-mêmes parfaitement d’accord, ils ne se sentaient pas en état d’exercer en son absence une intervention efficace. Retardé par divers incidens, il ne put se présenter que le 18 janvier 1814 au quartier-général des souverains, qui était alors à Bâle, d’où il ne tarda pas à se porter en France à la suite des armées.

Le rôle qui s’offrait à lord Castlereagh était grand et brillant, mais il avait à éviter un dangereux écueil. Accueilli par tous avec un empressement et des prévenances extraordinaires, parce que chacun voulait l’entraîner dans son sentiment, il fallait qu’il gardât une attitude impartiale et qu’il s’abstint de prendre une couleur exclusive, qui, en le privant de prime-abord de toute action conciliante, eût augmenté les élémens de confusion. Cela n’était pas facile ; il sut pourtant y réussir. Etroitement uni en réalité à M. de Metternich,