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parce qu’en tout temps, à moins de conjonctures bien extraordinaires, l’Angleterre et l’Autriche, ayant les moines adversaires et n’ayant aucun motif de rivalité, sont des alliées naturelles, il fit comprendre sans peine à l’habile ministre autrichien qu’il importait de ne pas rendre cette intimité trop évidente pour ne pas en compromettre les utiles effets. Il mit tous ses soins à capter la confiance de l’empereur Alexandre, à contenir son exaltation, à calmer ses défiances, à ménager les susceptibilités extrêmes de son amour-propre, tout en lui résistant avec fermeté lorsque cela devenait indispensable, et ses efforts furent couronnés d’un tel succès, que ce prince conçut bientôt pour lui, non pas un de ces engouemens passagers que tant de personnes lui ont successivement inspirés, mais un sentiment d’estime et de déférence qui, à travers bien des épreuves, devait durer autant que leur existence. Grâce à ces habiles tempéramens, l’aigreur, les soupçons qui commençaient à se glisser dans les rapports intérieurs de la coalition parurent se dissiper ; on se mit d’accord sur quelques questions, on ajourna celles qui n’exigeaient pas une solution immédiate, et toutes les forces, rendues ainsi à leur pleine et libre activité, purent se consacrer à l’achèvement de l’œuvre commune.


II

Il y avait déjà un mois que les alliés avaient passé le Rhin. Les deux grandes armées du prince de Schwarzenberg et du maréchal Blücher, ne rencontrant aucune résistance sérieuse de la part des forces trop inégales qui leur étaient opposées, avaient pu s’avancer jusqu’au cœur de la Champagne, en laissant derrière elles les places occupées par des garnisons françaises. Presque partout elles avaient été bien accueillies par les populations, fatiguées du joug pesant de la domination impériale. Une autre armée autrichienne s’avançait du côté de Lyon sans trouver beaucoup plus d’obstacles. Dans les départemens du midi, où lord Wellington gagnait peu à peu du terrain sur le maréchal Soult, l’esprit public se montrait plus décidément hostile à Napoléon, parce que les Bourbons avaient conservé de ce côté de plus nombreux adhérens. Vers le nord, on pouvait craindre que la faible division du général Maison ne couvrît pas longtemps la frontière de Flandre. Le cercle où s’exerçait encore la domination de Napoléon se rétrécissait ainsi de moment en moment. Dans les derniers jours de janvier, ayant terminé les préparatifs de défense que lui permettait l’épuisement de ses ressources, il put enfin quitter Paris et se porter en Champagne au-devant de l’ennemi avec une année formée des débris de ses vieilles bandes mêlés à beaucoup de conscrits de dix-huit à vingt ans, et dont la force numérique