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garde, l’Autriche, quels que pussent être ses sentimens particuliers, se laisserait elle-même entraîner dans cette voie, et que la coalition était désormais trop bien liée pour que, l’espoir de parvenir à la dissoudre ne fût pas une pure chimère. Il demandait donc avec instance, sinon qu’on lui rendit les pleins pouvoirs dont il avait été muni un instant, au moins qu’on le mit en mesure de négocier avec efficacité en renonçant aux bases de Francfort. Ces remontrances, exprimées avec une noble et éloquente franchise dans des lettres confidentielles qui ont été depuis longtemps publiées, irritaient d’autant plus Napoléon que probablement il ne méconnaissait pas la force des considérations sur lesquelles son ministre les appuyait, bien que l’orgueil et peut-être aussi une politique prise de plus haut l’empêchassent d’accepter un excès d’humiliation qui ne lui eût plus laissé d’avenir. Le duc de Vicence ne recevait donc, au lieu des instructions nouvelles qu’il sollicitait, que des reproches amers, de vagues récriminations mêlées de subtilités et de chicanes.

Il fallait cependant qu’il essayât de faire bonne contenance devant les plénipotentiaires alliés. Seul en présence de six hommes étroitement unis et dont les dispositions hostiles envers la France ne déféraient guère que par les nuances que pouvait y porter le tempérament particulier de chacun, toutes ses tentatives pour donner un peu plus d’aisance et de facilité aux rapports qu’il entretenait avec eux échouaient contre leur résolution bien arrêtée de maintenir ces rapports sur un terrain purement officiel. Dans les entretiens qu’il avait avec quelques-uns d’entre eux en dehors des conférences, il affectait de témoigner une franchise qui, dans des conjonctures moins extrêmes, eût pu sembler excessive ; il ne leur dissimulait pas combien, pour son compte, il désirait la paix et la croyait nécessaire, combien il déplorait les illusions, les emportemens auxquels son maître se laissait entraîner ; il leur parlait des efforts qu’il faisait lui-même pour le ramener à une appréciation plus juste de la situation ; il leur insinuait qu’un langage ferme et soutenu de leur part était opportun pour faire évanouir ces illusions. « Caulaincourt, écrivait sir Charles Stewart, redoute les succès de Bonaparte encore plus que les nôtres, parce qu’il craint qu’ils ne le rendent plus déraisonnable encore. » Dans d’autres instans, exprimant au fond le même sentiment dans une forme en apparence contradictoire, il disait que le seul avantage réel que pussent avoir les succès partiels obtenus par Napoléon, c’était de le rendre plus traitable en désintéressant un peu son amour-propre. À toutes ces avances, à toutes ces insinuations, les alliés ne répondaient qu’avec une politesse froide et réservée qui ne lui permettait pas de s’avancer au-delà et de donner à ces communications un caractère vraiment confidentiel.

Le duc de Vicence n’était pas plus heureux lorsqu’il s’efforçait,