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la logique. Ce qu’ils avaient gagné par l’héroïsme, ils furent assez endurcis pour ne pas vouloir le livrer à la ruse. À toutes les subtilités des vaincus, ils répondirent : Je le maintiendrai. Ce fut leur devise. En un mot, ils ne voulurent pas être extirpés éternel sujet d’accusation auprès de ceux qui voulaient qu’ils le fussent !

Il y avait une autre raison qui faisait que ces hommes étaient difficilement dupes ; enveloppés dans un mensonge perpétuel, dont nous avons vu la source et qui renaissait de lui-même, on pouvait les assassiner, non les tromper. Pourquoi ? C’est qu’ils avaient une étoile, une boussole ; ils voyaient toute chose à la lumière des questions religieuses. Aussi est-il frappant combien les petits piéges, les savantes habiletés perdaient leur valeur auprès d’eux. Il n’est qu’un moyen pour s’orienter dans la nuit : regarder en haut, et c’est ce qu’ils faisaient. Ils regardaient vers le ciel. Ce fut surtout le rôle constant de Marnix au milieu des affaires ; il éclairait la diplomatie des lueurs de la réforme, et il ne laissa pas la révolution s’égarer un moment. On l’appelait le voyant, le prophète[1] de la cause, il le fut en effet dans toutes les grandes occasions.

Je me suis demandé souvent pourquoi, malgré le progrès de la civilisation, il est si facile de tromper de nos jours les hommes assemblés, pourquoi il est sans exemple qu’on n’y ait pas réussi toutes les fois qu’on s’est donné la peine de le vouloir, et je n’en vois d’autre raison que la grossièreté des idées dont la plupart des hommes sont occupés aujourd’hui, et qui sont telles qu’elles abâtardissent en eux toutes les facultés nobles, c’est-à-dire celles qui sont le plus naturellement les sentinelles de l’âme. Les esprits rampent. Qu’y a-t-il d’étonnant, s’ils tombent dans toutes les chausses-trappes dont on embarrasse la terre ?

L’histoire hait les dupes ; elle les met presque au rang des coupables, et ce n’est qu’une demi-injustice. Être abusé, c’est presque toujours le signe d’une situation fausse. Un degré de plus d’intégrité de votre part, et vous n’eussiez pas été trompé. Un homme entier dans sa cause a mille avertisemens secrets. Un certain état de santé morale, de véracité native, révèle chez autrui la fraude, comme il est des substances qui révèlent au contact le poison que d’autres renferment.


VII

Troisième épreuve de la révolution victorieuse, la liberté : elle devient incontinent entre les mains des adversaires une arme contre la liberté. Le principe de la tolérance, jeté dans le monde par la réforme,

  1. Verheiden, Elogia Theologorum, p. 1.43.