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comme surpris de la question et pour se donner le temps de bien mesurer l’embûche, répondit avec une hésitation jouée : « Je ne sais. » Son adversaire s’empressa de tirer la conclusion de cette incertitude apparente. « De sorte, dit-il, que vous ne voudrez pas accepter la décision des états ? » Orange, avec une circonspection nouvelle et afin de peser une dernière fois sa réponse : « Je ne dis pas cela, mais telle pourrait être la réponse, que nous l’accepterions, telle aussi que non. » Le parti catholique jouit un moment de l’embarras de cet aveu, et, voyant que la révolution allait être prise au piège, M. de Grobbendonk insiste ; il reprend avec la certitude qu’il frappe le coup décisif : « Vous ne voudriez donc vous soumettre aux états touchant l’exercice de la religion ? — Non, certes ! » s’écria Orange, sortant enfin de sa circonspection accoutumée et avec la force d’un homme qui parle au nom d’un peuple invincible ; puis, remarquant quelle impression de satisfaction vaniteuse, mêlée d’effroi, a produite sa réponse, il ajoute sur-le-champ ces mots sans réplique : « Car pour vous dire la vérité, nous voyons que vous voulez nous extirper, et nous ne voulons point être extirpés. — Ho ! dit le duc d’Arschot, il n’y a personne qui veuille cela. — Si fait certes, » dit Guillaume.

Par ce mot, l’embûche tombait d’elle-même. Ce fut alors le tour des docteurs. Les révérends pères ne savaient par où prendre ces rudes loups de mer. Pour se débarrasser des inflexibles monosyllabes du Taciturne, ils ramenèrent la discussion en latin ; mais ils ne purent se contenir, comme avaient fait les diplomates, et livrèrent ainsi la pensée de leur parti. Le docteur Gail s’avança jusqu’à dire que les états qui avaient proclamé la liberté de conscience pouvaient l’abolir. Aldegonde répondit qu’il était question d’un serment, non d’une loi : il établit le principe moral de la question, et renia pour juges ceux qui venaient de montrer à nu les passions de leur cœur. La liberté d’esprit, conquise par le sang, serait-elle de nouveau jouée à croix ou pile, quand tout le monde voyait que les dés étaient pipés d’avance ? Sur ces mots, la conférence fut rompue ; la liberté était sauvée. Elle venait d’échapper au piége le plus subtil qu’il soit possible de lui tendre, n’ayant point voulu périr, malgré l’invitation précise qui lui était faite au nom du suffrage universel. Et quel avait été le secret chez ces hommes pour se débarrasser des trames tendues incessamment autour d’eux ? Un secret très simple : la ferme volonté de vaincre ; le respect de leur propre cause, qui ne leur permettait pas de remettre au hasard le fruit du sang et des larmes ; la résolution inébranlable de ne pas sacrifier la chose à l’ombre le fond à la forme, la liberté à son nom. Victorieux par le sang des peuples, ils eurent l’indignité de ne pas céder leur victoire à une réclamation de