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espagnole. Le reste a suivi de soi-même. C’est aussi pourquoi la révolution dans les autres provinces, n’ayant l’ait aucune de ces choses, a été extirpée si aisément jusque dans son germe.


VIII

Le plein divorce des deux races ne pouvait s’accomplir sans que chacune d’elles ne jetât sa malédiction sur l’autre. Dans cette mêlée, les deux principaux auteurs de la pacification étaient nécessairement désignés à l’exécration des catholiques ; la jalousie des nobles se joignant au déchaînement du clergé, ce fut un cri de fureur contre Guillaume d’Orange et contre Marnix de Sainte-Aldegonde. Le dernier surtout se trouva soumis à la plus cruelle des épreuves. Les hommes de sa race, de sa langue, ceux avec lesquels il avait commencé la lutte, se rejetaient dans le camp opposé. Après avoir éveillé les peuples à la liberté, ils couraient tête baissée au-devant du despotisme. Marnix sacrifierait-il sa foi religieuse et politique à l’entraînement des hommes de sa race ? Renié par son pays, se renierait-il lui-même ? Essaiera-t-il du moins de cacher sa défection sous l’apparence d’une soumission à la volonté du plus grand nombre ? Il n’hésita pas un moment sur ces questions. Quand la Belgique se perdait, il s’obstina à la sauver par la Hollande ; il crut qu’il pourrait arracher à l’Espagne les dix provinces soumises avant qu’elle les eût dévorées.

En 1579, Marnix reçoit des états-généraux des provinces du nord la mission de préparer, de concert avec le prince d’Orange, un plan de constitution pour la république naissante. Il rédigea ce plan[1] ; c’est le principe de ce que l’on a appelé l’union d’Utrecht, pacte fondamental de la république des Provinces-Unies.

À ce moment de complète rupture, Aldegonde voulut donner un suprême avertissement à la Belgique[2] ; il saisit l’occasion des invectives d’un gentilhomme wallon pour prendre à partie la noblesse des provinces qui venaient de passer à l’ennemi. C’est sur les jalousies, les cupidités, les arrière-pensées de cette noblesse, qu’il rejette le crime de la défection. L’auteur du compromis sentait sa force contre les hommes qu’il avait eus pour premiers compagnons dans sa déclaration de guerre au concile de Trente et à la monarchie d’Espagne. C’est à lui qu’il appartient de peindre l’apostasie de ces jeunes chefs de gueux, aujourd’hui cachés sous la livrée de l’Espagne. Il le fait sans pitié. Quel ménagement a-t-il à garder avec eux ? Le temps de

  1. Wagenaar. Vaderlandsche Historie, t. VI, p. 419.
  2. Réponse faite par Philippe du Marnix à un libelle fameux naguère publié contre monseigneur le prince d’Orange, et intitule Lettres d’un gentilhomme vrai patriote. À messieurs les élus-généraux des Pays-Bas. 1579.