Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/713

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la diplomatie est passé. La destinée de la Belgique est écrite dans ces rudes paroles :


« Quelle paix ou assurance ayez-vous même avec l’Espagnol, sinon que pour un temps vous vous courberez sous sa gaule pour manger votre saoul de ses glands, jusqu’à ce que le reste du haras étant réduit en son étable, il ait loisir de vous mener à la boucherie ? Le feu seigneur et comte d’Egmont, seigneur accompli en toutes vertus, si ces caresses espagnoles ne l’eussent à la fin fait égarer, promit à M. le prince d’Orange, à MM. les feux amiraux de Hornes et comte de Hoogstraeten toute assurance, paix et repos et prospérité, s’ils se voulaient venir à Bruxelles rendre entre les mains du duc d’Albe, comme il avait fait. L’un le crut, les autres furent plus avisés ; mais la paix, qu’il avait promise aux autres, lui fut si mal assurée, qu’il la paya de sa tête. Ces bonnes gens-ci, ne voulant devenir sages par exemple d’autrui, tachent d’en faire tout autant, hors qu’ils se persuadent qu’ils seront bien plus habiles. Et de fait, ils sont gens expérimentés et ont la barbe grise et le cerveau bien fait pour être plus sages que leurs ancêtres à garder leurs têtes. Ils nous font fête d’une paix en laquelle il n’y a non plus d’assurance que si nous-mêmes nous accommodions la corde au cou, et ne cessent de blâmer son excellence et tous ceux qui vous conseillent de vous garder de paix fourrée, de vêpres de Sicile et de noces de Paris, ni prêter l’oreille à la paix, si ce n’est à bonnes enseignes et avec bonnes assurances, afin que, outre la ruine que vous en receviez, vous ne serviez à toute la postérité d’exemple de sottise et d’avoir, à votre dommage, cru au conseil de jeunes gens éventés. »

La noblesse rejetait de nouveau aux réformes le titre de gueux, dont elle s’était longtemps parée ; elle reprochait au prince d’Orange qu’il n’avait de quoi se nourrir. Voici la réponse du champion fidèle de Guillaume :


« Certes, si son excellence n’a pas trop de quoi se nourrir au moins selon l’état qui lui appartient, c’est pour avoir libéralement et héroïquement employé tout ce qui lui restait du ravissement de la tyrannie espagnole au bien et salut de sa patrie, et parce que, encore journellement, sans avoir aucun souci ou soin de son particulier, il n’épargne rien qui soit en sa puissance pour avancer le public, se faisant pauvre pour soulager les calamités du peuple. Mais ceux-ci, je vous prie, qu’ont-ils pour se nourrir ? desquels on ne peut nier, de la plupart, qu’ils n’aient dépensé le peu qu’ils avaient de patrimoine en toutes insolences, débordemens, paillardises, masques, pompes et festins et ivrogneries ; et après, si du public on ne leur donne incontinent récompense de leurs services, telle qu’ils demandent, les voilà à cheval, rangés du côté des mal contens pour piller, branscater et rançonner le pays qui les a nourris et mis au monde, et se rendre esclaves à l’Espagnol pour lui vendre leur propre patrie à beaux deniers comptons, s’il est besoin, afin d’avoir quelque chose pour s’entretenir à faire la cour aux dames, ou par aventure se marier avec magnificence ! »


C’est là le côté politique : la noblesse accusée, séparée du peuple.