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À l’égard de la question religieuse, il fallait montrer comment le parti catholique ne s’est servi de la liberté que pour extirper la liberté. On vient d’échapper à ce péril par un remède héroïque ; Marnix insiste sur ce point, et avec quelle énergie déchaînée ! On y sent la bataille et le divorce irréconciliable des deux peuples :


« Ceux-ci qui, sous la tyrannie de l’Espagnol, ont par aventure engraissé leurs mains de la substance des pauvres gens que l’on accusait d’être hérétiques et se sont saoulés de leur sang, voyant que ce gibier leur commence à défaillir, et qu’il n’y a plus de confiscations pour remplir les abîmes de leur avarice, s’escarmouchent contre leurs ombres, criant qu’ils veulent avoir entretenu la pacification de Gand, comme si elle consistait à meurtrir et massacrer tous ceux qui ne veulent adhérer au pape de Rome ou a la messe, ou qu’elle eût été faite, non pas pour ôter la tyrannie, mais pour changer la tyrannie en plusieurs. Ils se plaignent qu’on a permis exercice de religion autre que romaine. Il fallait donc bannir, extirper ou massacrer un peuple innumérable, lequel ne peut en sa conscience s’adonner à la romaine. Mais le bon est qu’ils crient qu’il faut ôter cette damnable secte et hérésie des calvinistes. Et cependant ils font profession de ne vouloir, savoir ni entendre ce que c’est, ni sur quels fondemens et raisons elle s’appuie. Certes, messieurs, quand il n’y aurait autre chose pour découvrir au monde leur inutilité, quelle marque plus claire saurait-on demander ? Et voilà la belle paix qu’ils veulent faire ! voilà la liberté à laquelle ils prétendent ! C’est de chasser leurs compatriotes avec lesquels ils se sont confédérés par un serment si solennel, vider le pays d’une infinité d’habitans, d’un grand nombre de marchands et manœuvriers desquels le trafic et l’industrie ont amené les richesses dans le pays, condamner les innocens sans les ouïr en justice, et puis ployer volontairement le col sous la gaule de Circé, pour entier en l’étable des pourceaux. Je ne répondrai pas aux injures du calomniateur qui, comme un chien enragé, voyant qu’il ne peut mordre ou nuire à son excellence, décharge l’écume de sa rage en abbois et hurlemens, incitant le peuple à le massacrer et déchirer à belles dents. »


Cependant, à mesure que le faisceau des dix-sept provinces se rompait, les chefs de la révolution lui cherchaient des appuis auprès des nations où la réforme était victorieuse. Dès 1578, Marnix avait été envoyé par les états en Angleterre pour entraîner Élisabeth. Sur le refus de la reine, on se retourna vers l’Allemagne. L’archiduc Mathias ayant été nommé gouverneur des Pays-Bas, ce fut une occasion d’envoyer une ambassade a la diète de Worms, convoquée par l’empereur. Le chef de cette ambassade des Pays-Bas fut naturellement Marnix. Il s’agissait de plaider la cause des Pays-Bas devant toute l’Allemagne rassemblée. Aldegonde profita de cette occasion avec une fierté et une audace qui annonçaient les destinées de la république hollandaise[1]. Les biographes néerlandais n’ont pu s’empêcher

  1. Oratio pro Mathid et ordinibus belgicis, 7 mai 1578.