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On a peine à comprendre qu’après cette leçon Guillaume et Marnix se soient obstinés encore à espérer en la France, et même à se servir du duc d’Anjou. Il fallut que la mort le leur ôtât des mains pour les guérir de la fantaisie de renouer avec lui, tant la nécessité était forte, le péril urgent, et tant surtout le nom de la France enfermait alors d’espérances en germe ! Au reste, ce fut la première atteinte portée à la popularité de Guillaume et de Marnix. Beaucoup les accusaient de vouloir tout livrer au parti français, devenu odieux ; d’autres signalaient l’ambition du prince et parlaient d’un article secret qui lui assurait la Hollande et la Zélande. Les plus fidèles avaient peine à pardonner à ces profondes têtes d’être si aisément tombées dans les filets de quelques mignons de cour.

La folie du duc d’Anjou profita à la révolution qu’il voulait détruire ; s’il eut fait ce qui était raisonnable, les Valois eussent pu régner sur les Pays-Bas, mais la république hollandaise aurait difficilement pris naissance. Au contraire, on voit une république surgir par la nécessité, après que tous les rois d’Europe ont refusé d’en prendre la place.


X

Dans ces années si remplies où Marnix soutenait avec Guillaume d’Orange presque tout le poids de la lutte politique, il combattait l’ennemi au cœur même de l’église par de vastes travaux de controverse et de doctrine religieuse. C’est une chose particulière à la réforme hollandaise, que son premier homme d’état après Guillaume soit en même temps son premier théologien. Apôtre et diplomate, Aldegonde est tout cela de 1577 à 1583.

C’est en négociant à Worms avec l’empereur, en France avec Anjou et Henri IV, en Angleterre avec Elisabeth, qu’il engage et soutient sa volumineuse controverse théologique contre Baius, l’un des docteurs du concile de Trente. Il établit et défend dans ses traités latins en forme de lettres ce qui devient le credo de l’église hollandaise. Il avait posé deux questions[1] qui renfermaient toute la révolution religieuse : la première sur le fondement de l’autorité de l’église catholique, la seconde sur la sainte cène. Dans une vue historique qui le distingue des théologiens de la renaissance, il attribuait à la barbarie du moyen âge ce qu’il nomme la barbarie du dogme catholique. On ne fit jamais un appel plus direct à la raison que dans les lignes par lesquelles il termine : « Vous ôtez des choses le jugement et la raison ; pour moi, j’aimerais mieux être changé en

  1. Quaestiones Michaeli Baio propositoe a Phil. Marnixio. Responsio ad Michaelis Baii Apologium in novâ editione operum Baii. 1696.