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En sortant d’Anvers, si l’on suit l’Escaut par la rive droite, on rencontre à quatre mille toises de la ville une espèce de digue ou chaussée perpendiculaire au fleure. Cette digue, nommée Couwenstein, partageait déjà en 1584 la vaste plaine qui s’étend vers l’Escaut oriental ; elle s’élevait de dix-sept pieds au-dessus du niveau du fleuve quand le sol était inondé, offrant ainsi un chemin au-dessus des eaux aux troupes espagnoles ; de plus, elle faisait obstacle à la communication d’Anvers avec les escadres néerlandaises. L’instinct de la défense disait que la clé d’Anvers était là. Si cette barrière subsistait, les autres travaux de défense pouvaient devenir inutiles ; le grand intérêt de la jonction avec la flotte hollandaise était compromis ; Anvers devenait une place ordinaire.

Aucune de ces considérations n’échappa à Marnix. Soit qu’il suivit les conseils de Guillaume, soit qu’il obéit à son instinct propre, dès les premiers jours du siège il demande, il exige dans le conseil de la commune que cette digue soit rompue. C’est alors qu’il s’aperçut des difficultés de sa situation : il avait la responsabilité d’un chef d’armée, et il n’exerçait aucune autorité positive ; il n’avait que sa voix dans le conseil ; les fortes institutions communales de la Belgique le liaient étroitement. Il fallait qu’il comptât avec le corps des échevins, avec celui des chefs de milice et des métiers. Ces derniers s’opposèrent résolument à la mesure de salut ; ils avaient seize mille têtes de bétail dans les prairies, ils ne pouvaient les sacrifier, d’ailleurs où était la nécessité ? L’Escaut n’était-il pas libre ? était-il possible de le fermer ? Tant que le fleuve coulait devant Anvers, qu’avait-on à craindre ? Marnix raconte qu’à ce refus des autorités civiles ses cheveux se hérissèrent sur sa tête[1]. Avec son intelligence rapide, il vit que la place était perdue, et que la reddition n’était qu’une affaire de temps. Il ordonna la seule chose raisonnable qui restât à faire, la construction de forts à la jonction de la digue et de l’Escaut. Cet ordre précis ne fut pas même exécuté.

Avant l’investissement, il tente plusieurs sorties à la tête des troupes et de la milice, il dirige en personne une attaque sur Lierre[2] qui devait le mettre en communication avec Malines et Bruxelles. Ces attaques montrèrent combien peu il pouvait se fier à l’obéissance des troupes. L’un des chefs refusa de le suivre lorsqu’il sortait pour couvrir la déroute de la milice, il arriva même que les portes de la ville restèrent ouvertes à son insu pendant deux nuits. Quand il réclama

  1. « Ut scriboret inhorruisse sibi pilos capitis, quoties vel cogitabat de periculo formidando, si negligeretur. » Responsio apologetica.
  2. Annales Antverpienses, auctore Daniel Papebrochio, t. IV, p. 126. — Geschideniss van Antwerpen, Mertens en Torts, t. V.