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s’il en fut. J’extrais d’une lettre écrite de Naples par ce musicien un passage assez curieux pour les détails qu’il donne sur la manière dont l’auteur du Barbier composait ses chefs-d’œuvre. « Informé que Rossini était aussi à Rome et travaillait à un nouvel opéra pour Valle, je cherchai à faire sa connaissance, et je confesse à regret que je ne pus y parvenir. Son imprésario, qui se méfiait des habitudes paresseuses du grand homme, le tenait littéralement sous clé, et ne lui permettait de communiquer avec qui que ce fût. Le prince Frédéric de Gotha fit à Rossini l’honneur de l’engager plusieurs fois à dîner ; mais le farouche imprésario interceptait les invitations, se chargeant de répondre des lettres d’excuse tout au plus convenables au nom de la personne qu’il séquestrait. »

Puisque nous avons dit un mot de M. Spohr, nous citerons encore de lui quelques lignes. Cette fois c’est le critique qui parle, et l’on peut s’attendre à le trouver intraitable. Nous disons cela pour quiconque n’a jamais entendu deux notes de l’auteur de Jessunda, car ceux qui sont plus ou moins au fait de ses partitions ou de ses symphonies n’ont pas besoin d’être prévenus au sujet du peu de sympathie qu’un Allemand de si vieille souche doit ressentir pour les compositions d’un aventurier de cette espèce. » Rossini a du génie, aucun ne le conteste, et s’il eût voulu se livrer à quelques-unes de ces études sérieuses que les Italiens modernes semblent prendre à tâche de négliger, il y avait en lui l’étoffe d’un musicien fort distingué. Ses opéras ont de la jeunesse et de la vie ; mais ce qui leur manque, ainsi qu’à toutes les productions de la nouvelle école italienne que j’ai eu l’occasion d’entendre, c’est la pureté et l’unité de style, la correction de l’harmonie, et surtout l’art de dessiner les caractères. Qu’il lui arrive, après avoir terminé son premier acte, de voir l’ouvrage auquel il travaille arrêté soudain par la censure, croyez qu’il ne s’en préoccupera pas autrement, et se contentera d’appliquer la musique déjà faite au sujet qu’on lui apportera. Aussi rien de plus facile que de confondre pêle-mêle toutes ses inspirations, les plus bouffonnes avec les plus sérieuses. Essayez d’entendre cette musique sans vous être rendu compte auparavant de la situation, et je vous défie de savoir, tristesse ou joie, ce qu’elle exprime. Est-ce un roi qui chante, est-ce un paysan ? est-ce le maître ou le valet ? De pareilles choses, lorsqu’elles sont exécutées avec un art exquis, peuvent bien produire sur notre oreille un chatouillement agréable ; mais rien de tout cela ne saurait répondre au sentiment, cl, quant à moi, je ne puis voir sans colère la voix humaine ainsi ravalée à l’imitation des instrumens, alors que c’est elle au contraire qui devrait, par sa simplicité d’expression, leur servir de modèle[1]. » Je me figure M. Beyle entendant cet arrêt prononcé

  1. Spohr, Lettres écrites de Naples. Leipzig 1819.