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« On nous avait annoncé pour le 4 novembre une messe de Rossini, qui devait être exécutée dans l’église San-Fernando à l’occasion de la fête, des Sept-Douleurs de la Vierge. Ajouterai-je que l’attente était à son comble, que chacun se mourait d’envie de voir le roi du théâtre en Italie aux prises avec une de ces œuvres de haute et solennelle portée qui semblent surtout faites pour mettre en évidence tous les trésors de savoir et d’inspiration renfermés dans une individualité comme la sienne. Moi seul, s’il faut en convenir, je restais étranger à l’émotion générale, car, pour la partager, j’étais, hélas ! trop bien informé du pitoyable état où la musique religieuse est tombée en Italie, et de l’absence complète de sentiment que les Italiens montrent à l’égard de cette importante partie du culte. Je tenais de Rossini lui-même qu’il avait bâclé en trois jours cette messe, à l’élucubration de laquelle Raimondi avait aussi contribué. Il ne s’agissait donc que d’une sorte d’habit d’Arlequin cousu de pièces et de morceaux. La foule remplissait l’église depuis plus d’une heure, lorsque, la séance s’ouvrit par une ouverture de Mayr. À ce morceau, d’un style badin, une assez longue pause succéda, après quoi, pour inaugurer dignement la fête des Sept-Douleurs de Marie, on nous exécuta l’ouverture de la Gazza ladra. En présence d’une pareille profanation de la sainteté des lieux, je, me sentais le cœur navré. Ensuite commença le Kyrie, naturellement dépourvu de tous les élémens qui constituent en musique le style sacré, mais qui du moins, à travers ses dissonnances, aliénait une certaine dignité. Le Gloria qui vint après fut trouvé si ravissant, que le public, applaudit avec transport, absolument comme il eût fait au théâtre. Le Credo et l’Offertoire nous présentèrent un ragoût de diverses phrases rossiniennes accommodées à la hâte. Tous les passages favoris semés dans les trente-deux opéras du chantre pesarese, tout ce qu’il a trouvé dans son propre fonds et pillé chez les autres, tout cela se rencontrait dans ce beau salmis. Quant au Sanctus et à l’Agnus Dei, j’ignore si c’est à Rossini ou à Raimondi qu’il faut en rapporter le triste honneur. N’oublions pas l’orgue accompagnant l’office de la plus violente façon, ce qui n’empêchait point l’orchestre d’aller son train. On imagine quel effet digne du sanctuaire cette combinaison devait produire, surtout quand on pense que la voix de Rossini dominait ce bel ensemble, gourmandant celui-ci pour une fausse note, activant les lenteurs de celui-là, criant et tempêtant au milieu de la manœuvre. N’importe, le public d’élite qui composait cet auditoire, fut enchanté, et huit jours durant, les salons de Naples ainsi que les boutiques des marchands de macaroni retentirent des délicieux motifs de cette messe, écrite en trente-six heures à l’occasion des Sept-Douleurs de la très-sainte Vierge Marie. »


V. – LES PREMIERES LARMES DE LA COLBRAND. – LA DONNA DEL LAGO. – MAOMETTO SECONDO. – UN MARIAGE SECRET.

Cependant, tandis que l’astre de Rossini brillait chaque jour davantage au firmament radieux, l’étoile de la signora Colbrand commençait à pâlir. Non que la fière prima donna se vit atteinte dans le prestige de ses attraits. Née pour jouer les reines de théâtre, Mlle Colbrand avait une de ces beautés qui ne perdent point aisément contenance. D’ailleurs elle comptait à peine alors trente-trois ans, et l’on sait