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avec tout ce qui les entoure. De là viennent trois questions d’origine qui intéressent l’histoire naturelle, l’histoire proprement dite et la philosophie. Cependant cette étude importante, sur laquelle un assez grand nombre de livres ont été publiés dans ces vingt dernières années, avait longtemps été négligée. Les anciens philosophes ne s’en sont guère occupés. Leur connaissance limitée de la surface du globe, leur entière ignorance de l’existence de certains peuples ; les préjugés de leur mythologie, leur méthode scientifique si peu sûre, les rendaient incapables d’envisager sous son véritable jour cette grande question. Ils étaient cependant mieux placés que nous pour l’éclaircir, car de jour en jour la facilité des communications, les nouveaux usages, les croisemens de races ont dû, sinon effacer, du moins altérer la physionomie originelle des nations. Longtemps, et récemment encore, des principes opposés, des partis pris d’avance ont aveuglé les observateurs. La plupart de ceux qui ont discuté cette question dans le principe se sont laissé influencer par des considérations étrangères à la science. Les uns, comme Voltaire, ont soutenu la diversité originelle du genre humain pour trouver dans la Bible des impossibilités physiques, des erreurs d’histoire naturelle ; les autres, comme Prichard, pour détendre une certaine interprétation des livres saints, ont soutenu l’unité. Quelques-uns, cherchant à justifier la traite des nègres, ont allégué une inégalité permanente et fondamentale entre les hommes. Des philanthropes, au contraire, ont voulu attaquer cet odieux commerce, en s’efforçant de démontrer que tous les hommes descendent d’un couple unique, ou du moins de couples identiques. Toutes ces considérations sont étrangères à la science. Nous ne devons nous préoccuper dans cette étude que des raisons vraiment scientifiques ; nous devons rejeter toutes les idées arrêtées d’avance qui condamnent l’investigateur à repousser des vérités évidentes ou à admettre comme démontrées des suppositions gratuites ; nous chercherons à exposer toutes les hypothèses, à développer toutes les théories, sans voiler leur faiblesse et sans atténuer leur force ; nous aspirons à l’impartialité. C’est elle seule qui doit nous conduire dans cette recherche, et nous devons nous souvenir de ces paroles de Haller : Boni viri nullam oportet esse causam prœter veritatem.

Linnée est le premier qui ait songé à établir dans le genre humain des divisions naturelles. Il compte quatre races, d’après les quatre parties du monde. Moïse, et plus tard Éphore de Cumes, avaient déjà divisé les hommes : l’un en trois races, d’après les trois fils de Noé, l’autre en quatre, d’après les quatre points cardinaux ; mais ce ne sont pas là des classificalions scientifiques, et ce n’est qu’au XVIIIe siècle, que l’étude de l’homme, à ce point de vue, a pris une place sérieuse dans la science. La division de Linnée elle-même était du reste plus géographique que zoologique, et quelques années plus tard, en 1788, Gmelin et peu après lui Kant divisèrent l’homme, suivant sa couleur, en quatre variétés : le blanc, le basané, le noir et le cuivré. Buffon et Cuvier augmentèrent ce nombre, et, laissant l’Américain de côté, admirent six variétés. Blumenbach, Herder, Hunter, Lawrence, Duméril, Malte-Brun, etc., établirent encore un grand nombre de divisions fondées sur des caractères naturels, et dont nous donnerons une idée en décrivant ces caractères. Cependant, jusqu’au XIXe siècle, on n’avait pas songé à considérer