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est encore loin de recevoir une solution certaine et définitive appartient à ce genre : c’est la question de savoir s’il y a plusieurs espères humaines. Elle touche presque à la création, et il est impossible de la soumettre à des vérifications pratiques ; aussi la science renferme-t-elle peu de questions plus souvent débattues et qui aient donné lieu à des hypothèses plus nombreuses. Nous allons essayer, sinon de résoudre, le problème, du moins d’exposer en quoi il consiste et d’indiquer les solutions proposées, en procédant avec impartialité et précaution, comme s’il appartenait aux problèmes du premier genre, comme si nos hypothèses pouvaient être anéanties d’un jour à l’autre, victimes de la rude franchise des expérimentateurs.

Voyons d’abord en quoi consiste la discussion, quelles sont les bases sur lesquelles elle s’appuie. Sans croire aux faunes et aux sirènes, aux pygmées dont parle saint Jérôme, aux cyclopes et aux hermaphrodites que ne rejette pas saint Augustin, à ces hommes qui n’avaient qu’une jambe et qui étaient obligea de marcher deux à deux, il est impossible de ne pas admettre entre les nations qui peuplent le globe des différences considérables. Non-seulement la culture intellectuelle, la nature et le développement de la civilisation varient d’un pays à l’autre, mais l’organisation physique elle-même est loin d’être partout identique. Les différences qu’elle présente et que nous allons énumérer tout à l’heure sont-elles permanentes ? Le temps, les climats, les circonstances locales, le genre de vie, le degré de civilisation, ont-ils sur elles quelque influence ? Doivent-elles être attribuées aux modifications successives d’un type primitif, ou ont-elles existé de tout temps ? En un mot y a-t-il eu originairement plusieurs races distinctes, qui pourraient alors porter le nom d’espèces, ou tous les hommes descendent-ils d’une souche unique ? Enfin toutes les différences organiques coïncident-elles avec des différences intellectuelles et morales, et les divisions de l’histoire politique sont-elles avouées par l’histoire naturelle ?

Il semble au premier abord que ces questions pourraient être résolues par les termes des récits bibliques ; mais les progrès des sciences ont conduit de sages commentateurs à ne pas s’en tenir au sens littéral du texte sacré, et, pour le bien comprendre, il faut d’abord étudier les choses en elles-mêmes et arriver, si l’on peut, à une connaissance exacte de la nature. L’église accorde à l’interprétation une grande latitude, et c’est avec une pleine liberté que tous les esprits qui réfléchissent peuvent aborder la question des origines du genre humain. Dans tous les cas, on peut, sans grand effort d’abstraction, se la poser comme un problème scientifique et l’examiner en elle-même, indépendamment de toute autorité ; ainsi doit la considérer soit l’historien, soit le naturaliste. Une double science encore peu avancée, et dont les premiers progrès sont récens, est sortie de ces recherches : c’est l’ethnographie.

Les différentes questions qu’agite cette science se représentent naturellement à l’esprit toutes les fois que l’on considère les destinées des sociétés, et comment, dans le temps où nous vivons, ne pas revenir incessamment à cette étude ? Les hommes sont une des espèces vivantes à la surface du globe ; les hommes y ont formé de temps immémorial des associations offrant des traits communs et des caractères différens ; les hommes sont des individus pensans que leur raison met dans un rapport particulier avec eux-mêmes et