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pousser la civilité jusqu’à balayer le sol de la chambre où je devais passer la nuit; mais un Hercule eût pu seul accomplir ce travail surhumain, et ces démonstrations de propreté soulevèrent des torrens d’une poussière si nauséabonde, que je dus supplier mon hôte de ne pas donner suite à ses bonnes intentions et de laisser les choses dans leur état normal.

Douze heures de cheval à travers les chemins les plus abrupts ont des vertus somnifères qui dépassent celles des préparations opiacées. Aussi, après un frugal repas, je me roulai avec délices sur mon petit lit de camp, où un sommeil de juste exténué vint me verser ses pavots jusqu’au lever de l’aurore. Au réveil, le spectacle qui s’offrit à mes yeux n’était pas dénué d’originalité. Les trois mulets que l’on avait chassés à mon intention de leurs quartiers avaient profité de l’obscurité de la nuit pour faire leur rentrée à la sourdine; couchés autour de mon lit, ils savouraient en vrais sybarites le bien-être du repos. Quelques moutons, moins hardis, étaient restés groupés en travers de l’ouverture qui servait de porte à mon antre. Les rayons d’or du soleil levant me permirent d’apprécier mille détails de décoration qui avaient échappé la veille à mes yeux alourdis par la fatigue : des lézards aux écailles dorées épanouis sur la muraille, des insectes vampires de toute forme et de toute couleur, un rat de robuste appétit qui travaillait à belles dents sur ma botte droite. Je me dérobai avec une exactitude toute militaire à cette intéressante compagnie, et le soleil n’avait pas encore montré son disque entier à l’horizon que j’étais à cheval au milieu des rochers et des précipices du Liban.

Après avoir escaladé pendant deux jours des rochers faits à l’usage des chamois et de l’aigle, et que mon petit Arabe franchissait avec une admirable sûreté de pied, j’éprouvai un véritable plaisir à me trouver sur un terrain plat et à franchir à un bon galop la large plaine de la Bekka, qui sépare le Liban de l’Anti-Liban. Toutefois cette satisfaction ne fut que de courte durée, la route rentra bientôt dans des montagnes où ma pauvre monture fut de nouveau réduite à donner des preuves de son industrie. Je remarquai surtout un lit de torrent semé comme un damier de pierres énormes, et dont les espaces resserrés ne semblaient praticables au premier coup d’œil que pour des couleuvres et des souris maigres. Mon cheval y serpenta pendant plusieurs milles sans se trouver un seul instant dans des conditions d’équilibre stable, et cependant sans faire un faux pas. un papillon du noir le plus foncé avait pris quartier dans mon cerveau à la fin de cette longue journée de marche à travers des rochers arides, et j’attendais avec une véritable anxiété l’instant où Damas, la perle de l’Orient, apparaîtrait à mes yeux. Le panorama de ces lieux si vantés, dont Mahomet a dit qu’il ne voulait pas les voir, parce qu’il voulait rester dans la croyance qu’il n’est qu’un seul