Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/834

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec de l’artillerie pour réduire le couvent. Savonarole alors se retira suivi de toute la communauté dans la bibliothèque, et bientôt des commissaires apportèrent l’ordre de le livrer avec deux de ses disciples les plus dévoués, Buonvicini et Marufii, en promettant qu’ils seraient libres, après leur interrogatoire, de rentrer à Saint-Marc. Savonarole ne s’abusait point sur la valeur de cette promesse ; mais il n’en déclara pas moins qu’il était prêt à suivre les commissaires. Avant de se séparer de ses moines, il leur fit de touchans adieux, les engagea à vivre saintement, et rappela les actes trop nombreux d’ingratitude dont les Florentins s’étaient rendus coupables envers les hommes qui s’étaient dévoués pour eux ; puis il sortit du couvent, les mains liées derrière le dos, et, en traversant la place Saint-Marc, il fut assailli à coups de pierres par le peuple, qui l’insultait et menaçait de le mettre en pièces. Le lendemain, il fut conduit avec ses deux disciples devant la seigneurie ; et sommé de déclarer s’il était réellement inspiré de Dieu, il répondit affirmativement. En voyant cette obstination, la seigneurie, contrairement aux promesses qu’elle avait faites, résolut de le retenir prisonnier et de préparer de longue main sa condamnation. Elle nomma pour instruire le procès une commission de seize membres pris parmi ses adversaires les plus ardens. Deux commissaires du saint-siège, G. Turriano, général de l’ordre de saint Dominique, A. Romolino, docteur espagnol, arrivèrent bientôt pour presser la condamnation. « Nous allons faire un beau feu, disait Romolino, car je porte sur moi la sentence. Un mauvais moine de plus ou de moins, qu’importe ? » Pendant près de deux mois, Savonarole fut interrogé tous les jours et appliqué plusieurs fois à la question. La douleur lui arrachait des réponses qu’il rétractait aussitôt ; mais comme on ne pouvait lui reprocher aucun fait de nature à entraîner la peine capitale, on falsifia les interrogatoires, et ce fut sur des pièces dénaturées par la plus insigne mauvaise foi, qu’il fut condamné au dernier supplice avec ses deux disciples Buonvicini et Maruffi.

L’arrêt fut prononcé le 22 mai 1498, et le jour même on lui annonça qu’il devait s’apprêter à mourir. Il reçut cette nouvelle avec calme, resta longtemps en prières, et demanda au prêtre qui l’assistait à dormir sur ses genoux. Il s’endormit en effet, et l’on remarqua que pendant son sommeil il parlait et riait aux éclats. Le lendemain, il fut conduit sur la grande place, au milieu de laquelle s’élevait un immense échafaud, et sur cet échafaud se dressait une potence en forme de croix. Le condamné, dépouillé des vêtemens qu’il portait d’ordinaire, fut revêtu des habits sacerdotaux. On raconte qu’il prit dans ses mains sa robe de religieux, et l’arrosa de ses larmes en assurant qu’il l’avait toujours conservée sans tache. L’évêque de Vayson, délégué par le pape pour assister au supplice, le prit par la main et lui dit : « Je te sépare de l’église militante et de l’église triomphante. — De l’église triomphante, jamais, » répondit Savonarole. On lui lut ensuite sa sentence de mort, et au moment où il montait sur le bûcher, en suivant un escalier de bois qui conduisait au sommet, des enfans s’approchèrent avec des bâtons pointus et lui piquèrent les pieds. Le bourreau l’attacha au gibet, et les seuls mots qui tombèrent, dit-on, de sa bouche furent ceux-ci : « Ah ! Florence, que fais-tu ? » Lorsqu’il fut étranglé, on alluma le feu, et quand tout fut consumé, quelques-uns de ces hommes rares dans tous les temps qui s’attachent