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du prophétisme dans l’élise, Savonarole composa un nouveau traité pour prouver qu’il était prophète ; puis, quand il crut avoir établi la réalité de sa mission, il voulut se réserver pour lui seul le droit de prédire, et afin de se débarrasser des concurrens, il publia en 1497 un traité contre les astrologues, traité dans lequel il déclara que leur science est mensongère et coupable, qu’elle est condamnée par l’église, et qu’on ne peut pas même la classer dans la philosophie, attendu qu’Aristote n’en a point parlé. Quant à ses propres prédictions, telles que l’unité de l’Italie avec Florence pour capitale et la conversion des Turcs, qui devaient bientôt devenir les plus ardens propagateurs de la loi, les événemens se sont chargés de lui répondre.

Dans le traité du Gouvernement de Florence, Savonarole défendit par la plume ses théories politiques, ainsi qu’il avait défendu sa mission prophétique dans l’Abrégé des Révélations ; et comme il donnait pour base à la réforme du gouvernement la réforme des mœurs, il composa divers opuscules philosophiques ou mystiques qu’il destinait à l’enseignement des chrétiens, tels que l’Abrégé de la Philosophie morale, les Traités de la Simplicité de la vie chrétienne, de l’Humilité, de la Prière, de l’Amour de Jésus-Christ, le Triomphe de la Croix, le Confessionnal, etc. En philosophie Comme en politique, Savonarole, suivant la juste remarque de M. Perrens, relève directement de saint Thomas ; dans ses écrits de piété, il est le disciple des écrivains mystique du moyen âge les plus orthodoxes : la preuve, c’est que le Triomphe de la Croix fut souvent réimprimé par la compagnie de Jésus dans les Annales de la propagation de la Foi.

Les détails qu’on vient de lire suffisent, nous le pensons, à faire apprécier nettement le rôle de Savonarole dans les diverses phases de sa vie. Prophète, il se rattache sincèrement à la tradition de l’illuminisme, et se croit autorisé à persévérer dans sa mission par des exemples que l’église elle-même à sanctionnés. Ce n’est donc ni un fourbe ni un ambitieux, comme Bayle, Naudé et d’autres encore l’ont insinué ou affirmé : c’est un homme profondément convaincu qui se laisse égarer par l’entraînement même de sa foi. Réformateur des mœurs de Florence, il ne fait que continuer l’œuvre des hommes les plus éminens du catholicisme, de saint Bernard, de Gerson, de Vincent Ferrier, et c’est à tort, quoi qu’on en ait dit, même dans ces derniers temps, que les protestans le réclament comme un des leurs, l’inscrivent sur leur martyrologe et le surnomment le Luther de l’Italie, c’est à tort que Luther lui-même, en commentant une de ses méditations, déclare que « le Christ l’a canonisé, attendu qu’il ne s’est point appuyé sur ses vœux, sur son capuchon, sur les messes, les statuts et les vieux de son ordre, mais sur la méditation de l’Évangile de la paix, et que, revêtu de la cuirasse de la justice, armé du bouclier de la foi et du casque du salut, il s’est enrôlé, non dans l’ordre des frères prédicans, mais dans la milice de l’église chrétienne. » Cette phrase a trompé Théodore de Bèze, Duplessis-Mornay, Cappet, qui proclament Savonarole le fléau de la grande Babylone, l’ennemi juré de l’antéchrist romain. Rien n’est moins exact Jamais en effet frère Jérôme n’a demandé autre chose que la réforme des mœurs, jamais il n’a attaqué un seul point des dogmes qui forment la tradition de l’église catholique romaine. Sa plus grande hardiesse a été de soutenir qu’un excommunié peut prêcher. Ce que le protestantisme