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Deus : quis contra nos ?… » Il n’y a qu’un malheur, c’est que le tsar ne fait que ce que font tous les révolutionnaires en se créant un droit supérieur à tous les droits positifs et reconnus. Ce droit positif existait-il en faveur de la Russie ? Non sans doute ; l’Europe a solennellement prononcé sur ce point. Nous savons bien que l’empereur Nicolas ne reconnaît à d’autres que lui l’autorité nécessaire pour décider de son droit, et c’est en quoi justement il imite sans le savoir tous les révolutionnaires du monde.

Les révolutionnaires somment les gouvernemens de se rendre à leurs vœux, et si ces gouvernemens résistent, ils les combattent par l’insurrection, qui est leur genre de guerre, par les conspirations, par toutes les difficultés qu’ils leur suscitent. L’empereur Nicolas somme le sultan de lui céder par traité une portion de sa souveraineté sur onze millions d’hommes, et si le sultan n’y consent pas, il envahit en pleine paix ses provinces, il excite les passions religieuses des populations chrétiennes de l’Orient ; et si l’Europe à son tour intervient pour reconnaître le droit de la Turquie, pour maintenir intact l’équilibre de l’Occident menacé, oh ! alors, il n’y a plus de doute, l’Europe est constituée en flagrant délit d’antagonisme avec la Providence. Que faisait la Russie en organisant il y a quelque temps une légion valaque, — et ici qu’on nous permette d’ajouter que, sur une réclamation du ministre d’Autriche à Saint-Pétersbourg, M. de Nesselrode déclarait que c’était par ordre de l’empereur que cette légion avait été organisée ; — que fait encore aujourd’hui la Russie en envoyant des agens dans le Monténégro, en soldant l’insurrection grecque, si ce n’est mettre en usage tous les moyens révolutionnaires, vainement décorés de ce vernis du droit religieux ? C’est comme si les puissances de l’Occident allaient chercher à fomenter des soulèvemens dans le royaume de Pologne. Jusqu’ici au contraire, à leur instigation sans nul doute, le divan a refusé d’autoriser l’organisation d’une légion polonaise contre la Russie. La vérité est que cette prétendue délivrance des coreligionnaires opprimés dont parle le tsar devient le moins spécieux des prétextes en présence des actes réitérés par lesquels les puissances continentales mettent au premier rang de leurs préoccupations la consécration des droits civils et religieux des chrétiens de l’Orient, et s’il s’agit de leur indépendance, on sait comment l’entend la Russie. Quand l’empereur Nicolas élève le conflit actuel à la hauteur d’une grande lutte religieuse, il sait bien que l’Europe, tout en maintenant le juste ascendant du christianisme occidental, n’a nulle envie d’aller troubler le peuple russe dans ses croyances, ce qui n’est point l’affaire des gouvernemens. Ce que veut l’Europe, c’est contenir et limiter une grande ambition déguisée sous l’apparence de la religion. La lutte qu’elle accepte, elle l’accepte au nom d’un droit positif, au nom d’un intérêt européen, au nom de la civilisation, et elle la poursuit par les seuls moyens que la civilisation autorise, en tempérant lopins possible les cruelles rigueurs de la guerre. N’est-ce point là le caractère du bombardement d’Odessa ? Ce n’est pas même de propos délibéré que les escadres combinées sont allées exécuter cette heureuse et habile opération de guerre : c’est après qu’un bâtiment parlementaire a eu à essuyer le feu du canon russe. Dans l’opération même, la ville a été épargnée ; l’attaque s’est concentrée sur le port impérial sur les établissemens militaires, sur les batteries russes. Dans la Mer-Noire