Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/841

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ottomane et le gouvernement grec. Quelle était la pensée de la France ? Ce ne pouvait être évidemment de couvrir de sa protection la présence d’hommes dangereux sur le sol turc, moins encore de transformer une question politique en une question religieuse, en faisant du titre de catholique un motif d’exemption d’une mesure générale. C’est sur l’application de cette mesure aux Hellènes de la religion catholique que s’est produit, à ce qu’il parait, ce malentendu ; il s’est dénoué comme il devait se dénouer, par une transaction toute simple : le divan, en définitive seul juge d’une question de sûreté publique, a désigné nominativement les sujets hellènes autorisés à rester en Turquie, non point essentiellement en vertu de leur titre de catholiques, mais en raison de leur caractère inoffensif. C’est dans ce sens qu’étaient les instructions du gouvernement français, et c’est sans doute pour qu’il ne reste plus aucune trace de cet incident à Constantinople, que le général Baraguay-d’Hilliers a été rappelé. Ce ne pouvait être là au surplus qu’une difficulté facile à aplanir en présence des intérêts sous l’auspice desquels s’est scellée l’alliance de la France et de la Porte Ottomane, intérêts certainement de nature à dominer toutes les complications secondaires et les divergences spéciales.

Au point où la question est engagée aujourd’hui, là n’est pas réellement ce qu’on pourrait appeler le nœud de cette terrible, affaire. Ce nœud, il continue à être en Allemagne, et il est aussi sous un certain aspect en Grèce, où les populations semblent fatalement entraînées à la plus chimérique des entreprises, où on dirait que le gouvernement lui-même cède à une sorte de vertige. Quelle est en ce moment la véritable attitude des puissances allemandes ? A-t-elle changé depuis quelques jours, et dans quel sens se serait opéré ce changement ? À vrai dire, ces questions paraissent étranges, lorsqu’il y a un mois à peine, le 9 avril, les quatre puissances représentées à Vienne signaient un protocole par lequel elles résumaient les seules conditions possibles de la paix dans l’intégrité de l’empire ottoman, dans l’évacuation préalable des principautés, lorsqu’elles manifestaient de nouveau dans sa plénitude le droit européen qui mettait les armes aux mains de l’Angleterre et de la France, et s’interdisaient tout arrangement direct avec la cour de Russie qui ne serait point la solennelle sanction de ces principes. Sans doute le traité signé entre l’Autriche et la Prusse et ratifié aujourd’hui est venu créer un mode particulier d’action pour les puissances allemandes ; mais ce mode d’action lui-même découle du protocole du 9 avril. Comment admettrait-on qu’un autre esprit prévalut à Berlin ou à Vienne ? C’est parce que le sens de ces divers actes n’était pas douteux et indiquait assez une adhésion chaque jour plus sensible à la politique des puissances occidentales, que les partisans de la Russie ont cru le moment venu de tenter un dernier effort pour arrêter ce rapprochement. Dans le fond, l’opinion universelle en Allemagne est fortement prononcée en faveur d’une action commune avec l’Angleterre et la France ; par malheur, il se trouve dans chaque pays un certain nombre d’hommes aux yeux desquels toute la politique allemande se résume dans l’alliance avec le tsar. La question d’Orient est peu de chose pour eux, c’est l’alliance russe qui est leur sauvegarde contre la révolution, et ils ne songent pas que la Russie est en ce moment la première des puissances révolutionnaires.