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un devoir de conscience pour moi de protester contre ces calomnies, et de promettre aux promeneurs aventureux une complète sécurité et des libertés qu’ils n’oseraient pas prendre en Europe, telles que de chasser les cailles dans des récoltes sur pied, ou de dévorer à belles dents des abricots, pêches ou raisins, sans avoir à redouter les procès-verbaux d’un garde-chasse ou d’un garde champêtre.

L’obligeance de M. G.., chancelier du consulat de France, aimable et savant exilé européen, me valut la bonne fortune d’assister à la distribution des prix de l’école des frères de Saint-Vincent-de-Paul, et je consigne dans tous ses détails cette scène vraiment originale où se révèlent dans leur entier les progrès de la civilisation européenne sur la terre asiatique. Une messe un peu longue et éminemment musicale ouvrait la fête comme de raison. L’église, avec ses bancs de bois, sa Vierge dorée, ses vases de porcelaine garnis de fleurs artificielles, avait un si parfait caractère d’église de village français, que, n’eussent été les costumes pittoresques de la population qui la remplissait, je me serais cru en Seine-et-Marne par quelque jour de solennité catholique. L’office fini, on passa dans une cour transformée en tente avec beaucoup de goût, où il fut procédé à l’examen des élèves devant les notabilités européennes du cru. L’histoire, le catéchisme, la grammaire française, la géographie, servirent successivement aux interrogations, et c’était vraiment un curieux spectacle que d’entendre ces enfans damasquins, quelques-uns fort intelligens, donner la règle des participes, la hauteur du Chimboraço ou la date de la bataille de Pavie. Quelques livres furent ensuite distribués aux plus méritans, et l’on passa dans la salle à manger, où l’hospitalité du père supérieur avait fait sentir un fort bon déjeuner, après lequel il me fit visiter en détail l’établissement. La punition infligée aux petits Damasquins récalcitrans n’est autre que la bastonnade sous la plante des pieds, et comme je me récriais contre la barbarie de ce châtiment, le bon abbé G... me fit observer qu’il avait tenté bien souvent d’introduire le fouet classique, mais que jamais les parens, à son grand regret, n’avaient voulu consentir à cette innovation, mettant comme condition première de l’envoi de leurs enfans à l’école qu’ils fussent bâtonnés comme l’avaient été leurs pères. Sauf ce détail caractéristique, qui sent son Orient d’une lieue, les écoles sont tenues d’une manière irréprochable, et en les visitant, l’on ne peut se dispenser de se sentir saisi de respect et de reconnaissance pour les laborieux ouvriers de l’Évangile qui viennent répandre aux limites du désert le langage de leur beau pays et les consolations de la religion catholique.

Il y a aussi à Damas des représentans des sociétés évangéliques, mais leurs travaux sont d’une nature plus intime que ceux des frères de Saint-Vincent de Paul ou des pères de Terre-Sainte, et je