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libérales et sa profonde connaissance des choses de l’Europe. Il m’a reçu dans une salle au rez-de-chaussée, dont les murs sont recouverts de dorures et de peintures bizarres. Quatre lustres de cristal sont suspendus au plafond. Au milieu de la salle s’élève un jet d’eau dans un bassin de marbre; au fond, un divan bas et profond, au coin duquel le pacha est accroupi. Devant le pacha, un interprète debout, le chasse-mouche à la main; à côté de lui, sur le divan, un derviche, sorte d’animal à moitié nu, les cheveux hérissés, tout repoussant de saleté, envers lequel l’autorité se montre fort attentive. Je ne rapporterai pas mon entretien avec B...-Pacha, il me suffira de dire que

Le beau temps et la pluie, et le froid et le chaud.
Sont des fonds qu’avec lui on épuise bientôt.


II. — LA PAQUE A JÉRUSALEM.

J’ai vu à Damas quelques restes de l’Orient de Mahomet; à Jérusalem, c’est l’Orient chrétien que je vais observer. A une centaine de pas de la porte de Bethléem, j’ai déjà rencontré une caravane de pèlerins grecs qui se rendait à Jérusalem pour assister aux cérémonies de la pâque. C’est une pauvre famille de quatre personnes : deux femmes, un homme et un jeune garçon, dont toute l’apparence, indiquant un long et fatigant voyage, eût été indigne d’attention sans un détail singulier qui explique l’extrême facilité de caractère des chevaux orientaux. La jument sur laquelle est monté le plus âgé des pèlerins avait mis bas le jour d’avant, et le pauvre petit animal à peine né, incapable de supporter les fatigues de la route, avait été placé par son maître en travers sur le pommeau de sa selle. Le pèlerin soutenait de la main ce cavalier novice avec le même soin qu’il eût pu prendre d’un enfant.

La pâque des Grecs schismatiques attire toujours à Jérusalem un concours considérable de pèlerins de l’Asie-Mineure, des îles de la Grèce, de la Russie. Le grand événement de la fête religieuse est la descente du feu sacré qui se reproduit annuellement et ponctuellement le samedi-saint à trois heures de l’après-midi, sans que jamais l’état de l’atmosphère vienne porter retard à ce miracle chronométrique. Vers onze heures, le samedi-saint, je me rendis au saint sépulcre, où M. de B... m’avait accordé une place dans la loge qui est réservée au consul de France pour cette cérémonie. La petite cour qui précède l’église du Saint-Sépulcre était tapissée de boutiques de chapelets, de croix, de scapulaires de toute sorte, autour desquelles s’agitait une populace dont l’attitude bruyante formait un digne prélude de la véritable saturnale qui se passait dans le sanctuaire. Il me fallut avoir recours à l’obligeance d’un père de Terre-Sainte pour