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apporter trop de réflexion et d’impartialité dans l’appréciation de la conduite de l’empereur François-Joseph et de son cabinet. Plusieurs des considérations que nous avons présentées, dans le cours de ce récit, sur la réserve et la lenteur apparente commandée à l’Autriche, ont conservé toute leur force depuis deux mois, et ont dû s’appliquer aux circonstances actuelles. Sans parler d’un dernier sacrifice fait par l’empereur François-Joseph au souvenir et à la reconnaissance des services rendus, sans parler de l’engagement moral qu’il a pris envers lui-même de ne point commencer le premier une guerre qu’il a voulu prévenir par tous les moyens, les raisons de prudence et de prévoyance politique les plus palpables suffisent pour expliquer jusqu’à présent son abstention. Si les Russes l’inquiétaient, la menaçaient, la déliaient de tout ménagement en passant le Danube, l’Autriche ne pouvait cependant rien entreprendre avec sécurité contre eux sans avoir préalablement réglé et garanti sa situation en Allemagne. Enfin, à aucun point de vue, on ne pouvait lui demander ni même lui conseiller de se mettre en ligne sur les rives du Danube, tant que la France et l’Angleterre n’y étaient pas.

Qu’on nous permette encore une fois de nous placer dans la situation du gouvernement autrichien, et de traduire les réponses qu’il aurait pu adresser, ce nous semble, non aux impatiences de l’opinion ignorante, mais à la raison des cabinets de Paris et de Londres. L’empereur François-Joseph et M. de Buol pouvaient leur dire : « Nous défendons dans la question d’Orient les mêmes principes que vous ; rien au monde ne nous en fera déserter un seul. Notre loyauté, les gages que nous vous avons donnés, nos intérêts permanens, vous garantissent notre fidélité à la cause commune. Dans l’action, la question n’est pas de partir tous en même temps, elle est d’arriver ensemble. Si nous nous déclarons en même temps que vous, les hostilités commenceront pour nous plus tôt que pour vous. Ce serait exposer nos intérêts sans profit pour la cause commune. Le succès de la cause veut en effet que nous agissions sur le point sensible de notre adversaire avec la plus grande somme des forces que nous mettrons en mouvement. Si l’Autriche se déclarait tout de suite, nous serions seuls sur le théâtre des hostilités, où vous ne pouvez être rendus vous-mêmes qu’au mois de juin au plus tôt. Voyez ce qui serait arrivé si nous avions pris l’engagement d’entrer dans les provinces au moment où les Russes passeraient le Danube ; non-seulement c’est l’Autriche qui aurait tiré le premier coup de canon, mais elle serait sans vous sur le champ de bataille. Pour que nous prenions le parti que notre attitude annonce suffisamment, attendez, le moment où nous pourrons nous appuyer mutuellement, où, arrivés vous-mêmes sur les lieux, il sera possible de concerter, suivant les circonstances, un