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ce qu’ils font, » disait M. de Metternich découragé[1]. Or à ces sages considérations sait-on comment les hommes d’état russes répondaient ? Elles faisaient pousser les hauts cris à M. Pozzo di Borgo.[2] « La commotion que notre résolution va donner à l’Europe, écrivait brutalement l’ambassadeur russe à Paris, sera proportionnée à la manière dont l’Autriche en particulier, la France et la Prusse l’envisageront. Si elles acceptent nos explications et se réunissent à notre système, tout restera in statu quo. Dans le cas contraire, ceux qui auront excité les orages penseront à se garantir des conséquences de leur propre conduite. Ce serait porter les prétentions jusqu’à l’absurde que d’exiger de nous d’endurer leur déception et leur refus dans une affaire juste et nécessaire, par la raison que, si nous résistons aux unes et aux autres, ils s’en trouveraient inquiétés. Il y a dans ce procédé quelque chose d’insultant, non pas envers nous qui ne pouvons en être atteints, mais envers la simple raison et le sens commun. » Le langage de M. de Nesselrode était non moins précis, quoique plus réservé : « Nous sommes loin, disait-il, de méconnaître l’existence du danger que nous signale l’Autriche. Les déclarations antérieures de sa majesté impériale ont plus d’une fois développé sa pensée à cet égard… Mais il est une vérité que nous n’avons pas cru devoir déguiser. Tant que durera la guerre de Turquie, et puisque, par des influences étrangères que nous n’avons que trop souvent signalées, la résistance de la Porte prend un caractère d’opiniâtreté qui recule au-delà de nos vœux et de nos espérances le terme de cette crise, la Russie sera forcée de vouer plus que jamais toute son attention à des intérêts qui touchent directement à son honneur et au bien-être de ses sujets. Dès lors tous les moyens qu’elle pourrait opposer au débordement de l’esprit révolutionnaire en Europe se trouveront. nécessairement paralysés. Aucune puissance ne devrait donc être plus intéressée que l’Autriche à la conclusion de la paix, mais d’une paix glorieuse pour l’empereur et avantageuse pour son empire[3]. » Était-ce clair ? La Russie livrait l’Autriche à des périls révolutionnaires en Europe par la politique qu’elle suivait en Turquie ; puis elle lui disait : « Je fais mes affaires, arrangez-vous comme vous pourrez. Si vous voulez que je vous défende contre les périls qui vous effraient, aidez-moi, servez-moi en Turquie, là justement où mes entreprises menacent votre indépendance ! Votre assujétissement d’abord, mon concours après : abdiquez, et je vous sauverai. » - Double mensonge et double trahison à la cause conservatrice, d’une

  1. Rapport adressé à l’empereur Nicolas par l’aide de camp général Krasinski sur ses entrevues avec M. de Metternich les 4 et 5 juin 1829. Portfolio, T. II, p. 339.
  2. Dépêche réservée du comte Pozzo di Borgo, 14 octobre 1825. Reueil de Documens p. 45.
  3. Dépêche de M. de Nesselrode à M. de Tatistchef, 24 février 1829. Portfolio, t. IV, p. 8.