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cette émancipation se fit, chacun le sait ; le génie étranger vint en aide à nos efforts. Shakspeare, Byron, Cimarosa, Dante, Rossini d’un côté, de l’autre Schiller et Jean-Paul, Mozart et Goethe, Hoffmann, Novalis et Weber exercèrent à divers titres leur influence sur l’esprit des générations militantes. On eut ainsi dès le début, et comme sous la main, de grands exemples à citer, d’illustres patronages à réclamer en faveur des principes nouveaux.

Rossini avait alors à Paris de nombreux prosélytes, il avait aussi d’invétérés antagonistes, et ce terrain si calme aujourd’hui du Théâtre-Italien, où vous entendriez une mouche voler, était à cette époque une sorte de champ de Mars dans lequel on se pourfendait le mieux du monde, — ceux-ci combattant en héros pour le nouveau triomphateur, ceux-là, sectateurs acharnés du vieux goût, brandissant leur rapière au cri de Paisiello. Tandis que les deux factions militantes assiégeaient chaque soir les portes de Louvois, M. Paër, qui dirigeait le théâtre, mettait toute sa diplomatie (et Dieu sait s’il en avait !) à faire croire aux gens qu’il restait neutre dans la querelle.

C’était un personnage très fin et très rompu à l’intrigue que l’auteur de la Griselda (1797) et de Sargine (1803), compositeur habile, dont le talent avait un faux air de génie, véritable musicien d’interrègne, et qui, avec le bon Mayr, occupa on ne peut plus honorablement la vacance qui s’étend de Cimarosa à Rossini. M. Paër, né à Parme malgré son nom allemand, appartenait à cette classe d’esprits souples et déliés qui pensent que le talent est peu de chose, si l’on n’y joint encore l’art de le faire valoir. Doué dans sa jeunesse des qualités physiques les plus agréables, insinuant auprès des femmes, rien ne lui coûtait pour se concilier la faveur des grands. Il y avait en lui de l’homme de cour et du bouffon. Napoléon le rencontra sur son chemin un jour de belle humeur, le prit en amitié, et le nomma son maître de chapelle. Ce fut la le beau temps de M. Paër, qui ne manqua pas d’exploiter la position au profit de sa renommée et de sa fortune. Du reste, l’habit rouge de chambellan lui seyait à merveille : il avait l’œil émérillonné, le geste aristocratique, la jambe leste et dégagée sous le bas de soie, et l’air galant du cavalier ne nuisit point au succès du maestro. Les décorations venaient s’attacher comme d’elles-mêmes à sa boutonnière ; les pensions pleuvaient sur sa tête ; les tabatières d’or à chiffre diamanté encombraient sa chiffonnière, précieuses reliques d’une opulente période, dont, hélas ! sur ses vieux jours, quand les circonstances devinrent pressantes, on le vit se défaire peu à peu, si bien que, lorsqu’il mourut entre son perroquet et sa femme de ménage, il n’en restait plus une seule ! « Puisque la mort est inévitable, oublions-la, » écrit quelque