Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/909

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

De hors-d’œuvre lyrique qu’il était, de banal et monotone interprète de quelques idées générales, le chœur se transforme en héros, et prend une part chaleureuse à cette action, qu’il s’était contenté jusque-là de côtoyer à la manière antique. Les morceaux d’ensemble même, quatuors et sextuors, cèdent le pas aux masses, en qui se concentre toute la vie musicale du drame. Quant à l’air proprement dit, à peine s’il en est question, et les solos sont des barcaroles dont quelque chant populaire a fourni le motif[1].

Il convient ici d’entrer dans quelques détails pour caractériser bien nettement l’opéra moderne. Les vieux maîtres de la période qui précéda Gluck et Mozart savaient, eux, parfaitement à quoi s’en tenir et ce qu’ils voulaient. Une cantate dramatisée, une matière quelconque à laquelle on adaptait une musique capable de mettre en évidence sous toutes ses formes l’habileté du chanteur, tel était le but qu’on se proposait : tâche modeste sans doute, mais que plusieurs compositeurs surent remplir avec bonheur. Gluck, lui aussi, sait ce qu’il veut, poursuit un but systématique et se meut dans des formes déterminées. À l’exemple de ses prédécesseurs, il compose des morceaux de musique sur une cantate ; seulement ces morceaux, qui ne servaient naguère qu’à mettre en évidence la dextérité du virtuose, se proposent désormais un but bien autrement noble et sérieux, celui d’élever à sa plus haute puissance d’expression la vie dramatique contenue dans une situation. Après Gluck vient Mozart, le grand Mozart, dont chaque partition fut un chef-d’œuvre, et chaque chef-d’œuvre une tentative nouvelle. Avec Idoménée et Titus, la forme héroïque traditionnelle vit s’étendre et s’élever ses proportions ; avec les Noces de Figaro, l’Allemagne eut l’opéra-comique, cet aimable tableau de genre qu’ils appellent, de l’autre côté du Rhin, l’opéra de conversation, et dont l’origine est toute française. La Flûte enchantée, où les motifs populaires s’entrecroisent, où les lieds abondent, porte le caractère local d’une féerie viennoise, et quant à Don Juan, de cette prodigieuse création date, on le sait, l’opéra romantique. Dans la poésie dramatique, deux illustres contemporains de Mozart, Schiller et Goethe, ne faisaient pas autre chose ; eux aussi multipliaient les essais, et, par ces explorations dirigées en tous sens,

  1. Cette tendance particulière à la musique moderne devait du reste s’étendre aussi aux autres arts : je l’ai retrouvée en Allemagne, principalement dans les peintures de Kaulbach, qui sont l’histoire en action, non plus d’un individu, d’un héros, mais de tout un peuple.