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succombe repose complet, accompli ; mais le jeune homme éveille en tombant un attendrissement sympathique, une émotion ardente, infinie, qui d’une génération se transmet à l’autre. » Ces paroles de Pallas au fils de Pelée[1] nous reviennent à la mémoire à propos du chantre harmonieux de l’Italie gémissante. Avec les Puritains, Bellini changeait de mode d’inspiration ; qui sait si l’ensemble de sa physionomie n’eût rien perdu à ce rayonnement ultérieur ? Tel qu’il est, il résume en lui toute une période intéressante de la vie d’un peuple. Commencée à la veille des journées de juillet, sa vie musicale a pour terme leur lendemain. Otez-lui son caractère exclusivement national, sa note élégiaque et mélodieusement compatissante, et Bellini cesse d’être un phénomène, et vous enlevez à son profil cette grâce, cette sérénité du demi-dieu dont la légende le décore. La musique des Puritains, si renommée chez nous et si constamment applaudie, n’a jamais joui de l’autre côté des Alpes que d’une moindre célébrité, ce qui tient sans doute à l’absence du caractère national. La Norma au contraire et surtout la Sonnambula, voilà ses partitions vraiment populaires. Étrange chose cependant, et qui pourrait prêter aux déductions philosophiques, de voir au XIXe siècle un pays faire son opéra national d’un ouvrage dont le sujet repose sur l’état d’une jeune fille malade du système nerveux !

Rossini avait créé des virtuoses, Bellini fit des chanteurs. À l’ornementation fleurie, au coloris éblouissant, aux grâces légères de l’expression, caractères du chant rossinien, succéda la phrase à demi-teinte, l’ampleur pathétique de la cantilène, dont Rubini fut le vrai héros. Pour des imitateurs, Bellini n’en compte guère ; l’organisation chez lui tenait trop de place, et l’on ne copie pas un phénomène. Le chant de Bellini, c’est son âme, tandis que chez Rossini, comme chez tous les chefs d’école, la formule technique entre pour beaucoup. « Signer Rossini, lui disait un jour en maugréant le vieux Zingarelli, qui dirigeait le conservatoire de Naples, vous me gâtez tous mes élèves. — Comment cela, cher maître ? répliqua l’auteur d’Aureliano in Palmira. — Mais parce qu’ils prétendent tous vous imiter. — J’en suis vraiment au désespoir, continua Rossini ; mais pourquoi n’obtenez-vous pas d’eux qu’ils vous imitent, vous, au lieu de moi ? » L’irritable vieillard sentit la piqûre, et de l’air d’un singe qui vient de mordre dans un citron : « Apprenez, dit-il, que s’il est facile d’imiter Rossini, imiter Zingarelli est un peu moins commode. » (Sappiate che imitare Rossini è facile, ma imitare Zingarelli un po’ difficile !)

  1. Dans l’Achilléide. Voir notre traduction des poésies de Goethe, p. 256 de l’édition Charpentier.