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ministres, et même de quelques membres de sa famille. » Les mêmes idées se retrouvent avec plus de développement dans une lettre que le duc de Wellington écrivit quelques semaines plus tard au prince de Metternich. Après lui avoir exprimé une entière confiance dans le succès de la campagne qui allait s’ouvrir, il lui disait :


« Nos difficultés commenceront le jour où nous aurons complètement triomphé. Il y a certainement plusieurs choses à regretter dans la conduite du gouvernement français et des princes au mois de mars ; mais en prenant le tout en gros, je voudrais que notre gouvernement et le vôtre se fussent trouvés en mesure de faire connaître à leurs peuples pour quelle cause ils allaient combattre, et que nous n’eussions pas été amenés à leur donner lieu de concevoir la possibilité que le peuple français, ayant eu en 1814 l’occasion de choisir librement qui il lui plairait pour le gouverner dans la forme qui lui conviendrait le mieux, pourrait accomplir la même cérémonie en 1848… La seule chance de paix pour l’Europe consiste dans l’établissement en France des Bourbons légitimes. Celui de tout autre gouvernement, soit dans la personne du duc d’Orléans, soit dans une régence au nom du jeune Napoléon ou dans tout autre individu, soit enfin par la proclamation d’une république, conduirait forcément à la nécessité de maintenir un grand pied de guerre qui achèverait de ruiner tous les gouvernemens européens, en attendant le jour où il plairait au gouvernement français de recommencer une lutte qui ne pourrait être dirigée que contre vous ou contre d’autres états auxquels nous portons intérêt. »


C’étaient là, on ne saurait en douter, les dispositions du cabinet de Londres ; mais il n’est pas possible à un ministère anglais, alors même qu’il est composé des tories les plus ardens, d’énoncer hautement l’intention d’imposer un gouvernement à un peuple contre sa volonté. À cette époque surtout, c’eût été fournir des armes trop puissantes à l’opposition qui, dans le parlement, se prononçait contre le renouvellement de la guerre. Le langage officiel adopté par le gouvernement britannique, langage difficile à concilier avec l’accession de Louis XVIII à l’alliance conclue contre Napoléon, fut donc fondé sur ce principe, que cette alliance avait uniquement pour but de renverser l’homme du 20 mars, et non pas de forcer la France à accepter un gouvernement ou un prince particulier, lui expliquant au duc de Wellington la nécessité d’une telle phraséologie, lord Castlereagh s’efforça de lui faire comprendre que l’intérêt bien entendu des Bourbons autant que les convenances du ministère anglais exigeaient cette précaution.

Les alliés avaient soin d’ailleurs de répéter en toute rencontre qu’ils ne faisaient pas la guerre à la France, mais à l’ennemi de l’Europe, au perturbateur de la France elle-même. On espérait tourner ainsi contre Napoléon l’opinion de la grande majorité du peuple français