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n’a pas manqué de nommer le prince héréditaire de Suède. Je ne l’ai jamais entendu parler de régence. » Lord Clancarty écrivait de Vienne, quelques jours après, à lord Castlereagh : » Talleyrand m’a dit qu’il savait que l’empereur Alexandre est contraire à la restauration. »

Il y avait pourtant, parmi les conseillers de l’empereur de Russie, un homme en qui il plaçait une très grande confiance, et qui, sur cette question, professait des sentimens absolument opposés : je veux parler du général Pozzo di Borgo, cet ardent ennemi de Napoléon, qui, en ce moment, résidait à Gand, auprès de Louis XVIII, comme envoyé du gouvernement russe. Recherchant, dans une lettre qu’il écrivait à lord Castlereagh, les moyens auxquels il conviendrait de recourir, après qu’on se serait débarrassé de Napoléon, pour tirer de la victoire un résultat utile et durable : « Je persiste à croire, disait-il, que le roi est le seul que nous devons reconnaître et mettre en avant. Si nous sortions de cette règle, on ne saurait plus où s’arrêter. Tout autre établissement, même s’il était tiré de la maison de Bourbon, ne serait qu’un pacte avec les jacobins, et ce chef, quel que fût le titre qu’on lui donnerait, un instrument entre leurs mains. La nature de ce gouvernement continuerait à être révolutionnaire. » Le général Pozzo s’attachait ensuite à justifier le gouvernement de Louis XVIII des accusations nombreuses dont il était l’objet, ou du moins à les atténuer, tout en reconnaissant qu’il avait manqué d’initiative, et il ajoutait par forme d’apologie : « Nous l’avons laissé front à front avec les démons de la révolution, et nous l’avons chargé de nos imprudences et des siennes… Si nous voulons notre repos, il faut mettre le roi à même de disperser l’armée, d’en créer une nouvelle, et de purger la France de cinquante grands criminels dont l’existence est incompatible avec la paix. »

Ces sentimens étaient à peu près ceux du duc de Wellington, dont la correspondance avec lord Castlereagh atteste à cette époque un grand attachement à la cause des Bourbons. Son ferme bon sens lui faisait apercevoir très distinctement que, dans les circonstances où l’on se trouvait alors, Napoléon une fois écarté, les intérêts de L’Europe, comme ceux de la France, ne pouvaient trouver une garantie que dans le rétablissement de la famille des Bourbons, et qu’il n’y avait pas lieu à des intermédiaires. Il plaidait donc leur cause avec une grande chaleur. « Toutes les observations que j’ai faites pendant mon séjour à Paris, disait-il, m’ont donné la conviction que c’est le roi seul qui a maintenu la paix de l’Europe, et que le danger le plus immédiat qui a menacé ce prince doit être attribué à son désir de conserver cette paix, contrairement aux voeux, non-seulement de l’armée, mais de la majorité de ses sujets, de quelques-uns de ses