Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/960

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entre les simples princes du sang comme lui et les parens plus proches du roi. Revenant ensuite à des questions plus générales, il se livra à de nouvelles accusations contre les folles exagérations des émigrés, et conjura Louis XVIII de ne pas se présenter de nouveau à son peuple entouré de ces dangereux amis. Le roi ne répliqua pas.

Ces idées, si hardies pour le temps, sont exprimées avec plus de force encore dans une lettre écrite quelques jours après par le duc d’Orléans à sir Charles Stuart (depuis lord Stuart de Rothsay), que le cabinet de Londres avait accrédité à Gand auprès de Louis XVIII, et qu’il ne faut pas confondre, malgré une identité de nom presque complète, avec le frère de lord Castlereagh. Après avoir témoigné sa satisfaction de la sagesse des conseils donnés au roi par le gouvernement britannique, après avoir dit qu’il désirait les voir suivre plutôt qu’il ne l’espérait, le prince entrait dans de longs raisonnemens sur les motifs qui devaient porter Louis XVIII à se tenir momentanément à l’écart, pour éviter de reparaître en France à la suite des années étrangères et entouré d’émigrés ; il disait qu’au lieu de provoquer, comme en 1792, des émigrations utiles seulement à Bonaparte, au lieu de travailler à gagner quelques corps de l’armée, qui ne pouvait être utile que si on la gagnait tout entière, on ferait mieux de chercher à pratiquer des intelligences dans la chambre des représentans qui allait se réunir à Paris. « .Mais, ajoutait-il, on préfère à Gand le moyen anodin d’un million de baïonnettes. »

Le duc d’Orléans avait communiqué au ministère anglais sa correspondance avec Louis XVIII. Il en avait aussi donné connaissance au duc de Wellington. Ce dernier, tout occupé alors des préparatifs de la campagne qui allait s’ouvrir dans quelques jours, trouva cependant le temps de lui faire une réponse assez remarquable pour qu’il me semble à propos de l’insérer ici presque en entier :


« Mon opinion est que le roi a été renversé de son trône parce qu’il n’a jamais eu d’autorité réelle sur son armée. C’est un fait que votre altesse et moi nous connaissions très bien, que nous avons souvent déploré, et lors même que les fautes ou plutôt les folies de son administration civile n’auraient pas été commises, je crois que l’on aurait vu les mêmes résultats. Nous devons donc considérer le roi comme la victime d’une révolte heureuse de son armée et de son armée seulement, car, quels que puissent être les opinions et les sentimens de quelques hommes qui ont pris une pari éminente à la révolution et quelle qu’ait été l’apathie de la grande masse de la population française, nous pouvons, je pense, tenir pour certain que les premiers eux-mêmes n’aiment pas l’ordre de choses aujourd’hui existant, et que la population, si elle l’osait, s’y opposerait par la force. Cela étant ainsi, quelle doit être la conduite du roi ? D’abord il doit demander à ses alliés de le