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sous la croix[1]. Il les adjure de ne pas s’accoutumer au joug moral de l’invasion catholique, même entre les mains des Espagnols. « Regardons notre devoir, s’écrie-t-il, et fions-nous à Dieu ! » Quant à ceux qui ont conquis ailleurs une patrie, en Hollande, il leur enseigne ce qu’il y a de plus difficile, à ne pas se dégoûter prématurément de la victoire parce qu’elle n’a pas donné incontinent tout ce qu’on avait espéré. « Se figuraient-ils par hasard que Dieu les conduisait dans un paradis terrestre ? » Puis il prend à témoin tant d’empereurs, de rois, de princes qui n’ont pu dompter une poignée de gueux et de huguenots, signe manifeste que la main du Tout-Puissant est avec eux. Ainsi il célèbre le triomphe au milieu de l’exil. Proscrit, relégué, il soutient les victorieux contre les déceptions de la victoire. Au reste, nul retour personnel, nulle amertume de se sentir exclu de sa part dans le succès. Jamais l’instinct moral ne parut plus élevé chez Aldegonde. Ce moment de sa vie, qui ne laisse presque rien à raconter aux historiens, est celui de tous qui comptera le plus pour lui auprès de la justice éternelle.

Un événement acheva d’ouvrir les yeux, sur l’iniquité commise contre Marnix. Les plus obstinés durent reconnaître que le parti catholique espagnol continuait de voir dans Marnix, même désarmé, un de ses plus dangereux ennemis. On prêtre de Namur déguisé en soldat, Michel Renisson, fut arrêté à La Haye, convaincu d’avoir tenté d’assassiner Maurice. Le prêtre avoua avoir reçu d’avance pour le prix du meurtre deux cents philippus d’or ; il déclara en outre que le même parti avait payé d’autres sicaires pour assassiner les plus grands hommes de la république, — Marnix, Barneveldt et le fils de Maurice, âgé seulement de dix ans. C’était le moment où le roi catholique offrait la paix aux confédérés. Les états firent frapper une médaille qui était la réparation la plus éclatante de l’injure faite à Marnix. On voyait le roi d’Espagne offrir une branche d’olivier à un habitant des Pays-Bas qu’un assassin poignardait par derrière. Au bas, on lisait : Il offre la paix, et voilà ce qu’il fait.

C’est ici qu’il faut remarquer, dans les origines de la république de Hollande, le parti que les pouvoirs politiques ont su tirer des médailles pour parler à l’imagination des masses, trait caractéristique de la révolution des Pays-Bas. Dans un temps où le peuple lisait peu, le gouvernement a su mettre constamment sous ses yeux les événemens importans, allumer son imagination, l’instruire en le passionnant. Pour chaque événement de la révolution, une bataille, un siège, un projet de traité, on frappait une médaille grossière, qui,

  1. Cette épître ne se trouve qu’en hollandais. 1589. Eene trouwe vermaning, Voyez Brandt, Historie der Reformatie, t. I, p. 761, Broes, t. II, p. 273.