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ses ergots, comme une chèvre qui broute une vigne rampante sur une muraille, et ayant achevé de lire tout le susdit chapitre : « Messieurs, dit-il, que vous en semble ? »

« Et avec cela il acheva son propos, et croyez qu’il n’y eut eu toute cette compagnie un seul qui engendrât mélancolie, étant tous bien aises et joyeux comme de petits papes. Tout au contraire, de mon côté, je me trouvai camus et honteux comme un fondeur de cloches, et me souhaitais cent lieues arrière de là ; car il me semblait avis que j’étais là comme un âne jouant des oreilles au milieu d’une joyeuse brigade de guenons, et qui pis est, jamais le cœur ne me donna la hardiesse d’ouvrir la bouche pour le contredire un seul mot, ni plus ni moins que si j’eusse été un malfaiteur oyant prononcer ma sentence de mort. »


La conclusion de ce combat de parole, c’est toujours d’augmenter la confusion du champion de l’église gothique ; mais que lui importe ? Une chose surtout est observée avec originalité dans ce personnage. Il se sent vaincu ; sa raison est à bout ; son orgueil ne diminue en rien pour cela ; plus il est hué, plus il triomphe. Cette infatuation d’une tête de pierre est peinte avec une grande vigueur : « Pour dire vrai, cela nous fait penser à nos consciences, quand nous nous trouvons si rudement assaillis par tant et de si divers témoignages de l’Écriture, laquelle, comme un glaive tranchant à deux côtés, coupe la gorge à notre digne et vénérable prêtrise. Mais que voulez-vous ? Il ne faut pas perdre courage au besoin, mais il faut trouver quelque bouclier pour mettre au-devant et garantir la marmite, à quelque prix que ce soit. »

L’historien de Thou disait à propos de cet ouvrage : M. de Sainte-Aldegonde a mis la religion en rabelaiserie, et l’on ne peut nier que cela ne soit vrai à l’égard du papisme. Chaque page, pleine d’une verve monstrueuse, donne l’idée d’une procession orgiaque à travers les mystères. Voyez la marche sacrée du Silène de Rubens au milieu des faunes et des satyres à jambes tortes, vous aurez pour la hardiesse et le coloris une idée de l’ouvrage de son compatriote le bourgmestre d’Anvers.

Mon étonnement fut grand, lorsque pour la première fois tomba entre mes mains un des rares exemplaires de ce livre, échappé, je ne sais comment, au bûcher. J’étais surpris que l’auteur d’un ouvrage où la langue française a servi à livrer de si terribles assauts fût entièrement inconnu dans mon pays. Une si impitoyable ardeur à déchirer du haut en bas le voile de l’église, c’est ce que je n’avais jamais vu. Il me sembla un moment que Voltaire même était craintif et repentant auprès de ce hardi ravageur qui secoue avec tant de fureur les colonnes du temple. Je découvris bientôt que ce qui autorisait Aldegonde à tout oser et à combattre sans masque, c’est qu’il avait gardé une foi profonde à travers les ruines ; il extirpait en conscience