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Marnix embrasse tout, il ravage tout en même temps : dogmes, institutions, traditions, sacerdoce, livres, culte, légendes, coutumes. C’est ici véritablement une guerre à outrance, sans merci ni vergogne ; le sac de l’église gothique par la main du chef des gueux, au milieu du ricanement de tout un peuple. J’ajouterai, si l’on veut, que ce livre est une sorte de machine infernale à la Gianibelli, chargée de toutes sortes d’engins, de pierres sépulcrales, et placée, mèche allumée, sous le maître-autel de Saint-Pierre.

Dans sa force effrénée, souvent très fine, très déliée, Marnix à trouvé par instinct le fond comique des Provinciales : un personnage ridicule, que ses fourberies n’empêchent pas d’être naïf, fait devant la foule, au nom du catholicisme, l’exposition complète de la doctrine orthodoxe, et il se trouve que cette apologie est, malgré lui, la condamnation et la risée de sa propre croyance. Seulement le personnage mis ainsi en scène n’a pas le caractère discret et prudent du héros des Provinciales ; il est bien plutôt de la famille effrontée des personnages de Rabelais. Que l’on se représente une sorte de Grangousier ou de frère Jean des Entommeures résumant au point de vue de l’église romaine le grand combat de doctrines livré par tout le XVIe siècle autour de la vieille église : « Courage, enfans, venons aux mains, et contemplons la souplesse des bras de nos athlètes catholiques ! » Là-dessus, avec une science énorme, mais qui semble ivre de la colère de tout le siècle, il rassemble, il étale sur chaque point les objections des adversaires ; il s’apprête à les foudroyer, mais à mesure qu’il manie les armes de la raison, il en est lui-même effrayé, transpercé : « Ho ! ho ! qu’est-ce donc ? cet homme a-t-il entrepris de nous ruiner ? » Puis il se prépare de nouveau à triompher de l’adversaire, et l’immense et grotesque controverse continue, sorte d’Odyssée burlesque à travers les sophismes, les argumentations, les plis et replis de la théologie du moyen âge aux prises avec la renaissance. Quelquefois la mise en scène dont Pascal a tiré de si grands effets d’art est largement ébauchée :


« Pour Dieu, mon maître, puisque vous m’en faites souvenir, il faut que je vous conte une histoire sur ce propos, de ce qui se passa, un jour de la semaine en mon jeune temps, devant les dernières neiges, entre une troupe de beaux jolis petits huguenots, qui semblaient tous être camarades et étaient lestes et joyeux comme de jeunes cardinalins, sauf qu’ils ne portaient pas la livrée ; et comme par aventure je me trouvai avec eux, croyez que je mordis bien ma langue, et fis belle pénitence d’être contraint de voir rire ainsi les ennemis de sainte mère église.

« Or il y avait un entre eux un peu plus grand de stature que les autres ; je pense qu’il devait être ministre… Et notez qu’il avait sur un pupitre devant lui le premier tome des Controverses de Robert Bellarmin, ouvert au quatrième chapitre du quatrième livre. S’étant donc, ce beau prêcheur, mis sur