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étaient, dans la bonne ville, en possession publique, paisible et immémoriale de donner l’aubade à tout débutant dans la carrière judiciaire. Notre praticien n’était pas homme à rester court : il vivait depuis longues années dans l’amitié des proverbes. Il se mit de grand courage à poser les fondemens de son avenir, et l’on ne tarda pas à reconnaître en lui un de ces hommes qui ont l’œil à garder et à bien gouverner leur fait. La bourgeoisie de ce temps avait en effet pour règle stricte de travailler sans distraction jusqu’à la fortune gagnée ; après cela, les uns prenaient leur repos dans la direction générale de la famille ou dans les charges municipales, d’autres dans les cloîtres, quelques autres dans la littérature.

Les circonstances étaient favorables pour Coquillart. Dans la ville de Reims, il est vrai, un avocat ne gagnait guère que huit sous parisis pour servir de conseil en un procès, et il fallait faire de bien nombreuses écritures pour avoir vingt-quatre sous ; mais le moyen âge était volontiers processif, et les procès de Champagne étaient aussi célèbres que la fausse monnaie de Paris. La coutume de Reims régissait non-seulement le bailliage du Vermandois, mais aussi la comté de Champagne et le bailliage de Vitry. Il y avait là un vaste champ à moissonner. La position paternelle lui avait fait des protecteurs et des amis ; aussi, dès 1446, le garde du sceau du bailliage lui avait demandé un rapport sur des difficultés intervenues à propos de la police des marchés. Sans doute il n’était pas aussi savant que Me Gérard de Moutfaucon, qui faisait en ce moment le premier commentaire de la coutume de Reims ; il n’était certes pas aussi bien posé dans la ville que Me J. Cauchon, Me Henry le Membru, licenciés ès lois, qui appartenaient aux premières familles municipales, peut-être même n’était-il pas aussi habile que J. de La Sure et Henry Payot ses confrères, procureurs comme lui en court-laye : pourtant, qui l’eût vu et entendu à l’auditoire de la Pierre-aux-Changes où se tenait le tribunal de l’archevêque, celui-là l’eût distingué au milieu de tous les avocats, conseillers, praticiens, bacheliers ou licenciés en lois ou eu décrets qui composaient l’auditoire de M. le bailly ; celui-là eût pu prédire aussi qu’il y avait dans l’espèce particulière de son esprit un pouvoir qui fascinerait le populaire rémois. Nous pouvons nous le figurer là entouré des merveilles de son éloquence, et à juger de son talent oratoire par sa poésie, il semble avoir aimé à se précipiter in médias res, délestant les exordes et oraisons préparatoires. Plutôt fin, ingénieux et vif que large, ample et éloquent, il avait pour ennemis ordinaires les déductions et transitions, que ne respectait guère la promptitude de son esprit ; mais par cette vivacité même il pouvait parvenir à l’éloquence, c’est-à-dire que par un effort suprême, comme par colère, il arrivait, presque à bout d’haleine, à une sorte de puissance de parole, procédant par saccades et par énumération.

Cependant il ne déployait pas là toute son activité, et c’est dans les autres détails de la vie de la cité qu’il satisfaisait les plus originales tendances de sa nature. La politique chrétienne, qui avait constitué la vie sociale du moyen âge, avait bien posé le travail rude, persistant et régulier, comme la loi de ce monde ; mais elle avait aussi permis des fêtes nombreuses, pleines de mouvement et d’intérêt, où les esprits venaient s’absorber entièrement, trouver une réaction puissante contre la fatigue journalière et favoriser l’activité