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peut mesurer la grandeur de ses souffrances par l’étendue de ses sacrifices. En résumé, pendant tout ce temps, quelque ruinée qu’elle fût, elle ne refusa ni les saluts d’or nécessaires à la continuation de la guerre, au rachat des villes, ni les hommes, soldats ou pionniers, qui allaient périr au siège des places fortes ou dans les escarmouches. Elle était redevenue la bourgeoisie fidèle d’une ville qui se disait le chef et l’honneur du royaume de France.

C’était surtout l’archevêque, Mgr Regnault de Chartres, chancelier de Charles VII, qui servait d’intermédiaire entre la ville de Reims et le roi. Il n’oubliait jamais ses enfans bien-aimés, et à de bien courts intervalles on voyait arriver quelque courrier aux armes de France, quelque chevaucheur du roi, apportant une lettre de monseigneur le chancelier. C’était toujours un grand événement. Par-là il tenait la cité au courant des affaires politiques et des nouvelles de la cour. Ces naïves et simples missives, qui racontaient toute l’histoire du temps, tantôt montant jusqu’aux plus amples renseignemens touchant les mouvemens des armées belligérantes, tantôt descendant jusqu’aux plus petits détails des commérages sur la Pucelle, ou des vols faits dans la garde-robe du dauphin, — ces missives étaient la vraie gazette du temps, et jouaient à peu près le rôle de la presse actuelle. Elles se répandaient par toute la ville, et au sortir de la salle du chapitre ou du conseil, où elles étaient lues d’abord, elles descendaient dans toutes les oreilles, elles devenaient la conversation de tous. Dieu sait de quels commentaires hardis elles se trouvaient ornées quand elles arrivaient au coin du feu de quelque politique de l’état et artifice de barberie, ou de quelque autre diplomate des petits métiers. Ces lettres avaient bien, il est vrai, un côté désagréable, et il était rare qu’elles ne se terminassent pas comme l’épître de l’écolier champenois : « Je vous mande argent et saluts. » Ne fallait-il pas racheter Épernay des mains de Chastillon, aider ce pauvre duc d’Orléans à trouver les 20,000 écus d’or de sa rançon, et remplacer les serviettes volées au dauphin ? Cela du reste était demandé si courtoisement, qu’il n’y avait pas moyen de refuser. Et quoique les plus riches bourgeois eussent été obligés de fondre leur vaisselle d’argent, quand Mgr Regnault mourut, en 1444, il n’en fut pas moins, dans les éloges funèbres que prononçaient les bouches savantes de la cité, le pacificateur des princes, l’œil veillant du royaume.

C’était vers cette époque que Guillaume Coquillart rentrait au foyer paternel. Il y retrouvait assises au coin du feu, chantant au son des mêmes fuseaux et murmurant leurs éternelles joyeusetés, ces impressions qui avaient gouverné son enfance, ces influences bourgeoises qui allaient diriger son avenir. Elles étaient les fées protectrices des lignages bourgeois, et elles avaient attendu l’enfant prodigue. Il ne leur avait guère été infidèle du reste, et il allait devenir leur illustre et docile élève jusqu’à la fin de sa longue carrière. Il entra résolument, avons-nous dit, dans cette vie chrétienne et laborieuse qui était alors encore imposée par les mœurs générales, et qui se trouvait ainsi la seule respectable, la seule utile et conseillée par l’ambition. Il arrivait à titre de practicien, noble état dans la ville de Reims, représenté au conseil comme le clergé, les nobles, les bourgeois et les marchands, et souvent même passant avant les nobles sur les actes des délibérations. Il fut accueilli, l’on pense bien, et escorté à son arrivée par tous les proverbes qui